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François Durand, éducateur spécialisé de son état, vient de démissionner. Il quitte son emploi proprement pour une fois, sans se fâcher, se faire virer ou claquer la porte. Il a trouvé mieux ailleurs. Cela dit, deux mois avant cette démission, il s’était vu attribué, arrivé par la poste et en recommandé, un avertissement pour insubordination. Son départ n’est pas encore si propre que ça. Il va laisser encore une trace et notamment auprès de sa hiérarchie, garde-fou du bon fonctionnement de l’association. Il est un peu comme ça le travail social. Il prône la parole mais à conditions que celle-ci ne déborde pas, qu’elle ne soit pas trop subversive. Mais bon, on ne désobéit pas à sa cheffe et on encourage encore moins ses collègues à faire de même. L’avertissement est là pour le rappeler à François Durand. Il convient d’éviter l’insurrection. La révolution, on aime ça au cinéma mais dans le travail social comme ailleurs les choses et les personnes se doivent de rester à leur place. L’ordre social est ainsi bien en place et préservé : le public tout en bas, la hiérarchie tout en haut, et au milieu des travailleurs sociaux qui cherchent à se faire apprécier des deux.
Donc, comme ça sentait un peu le roussi avec sa cheffe qui depuis son esclandre insurrectionnel lui faisait fermer sa gueule dès qu’il l’ouvrait en réunion, l’éducateur a décidé de partir. Par le passé, en d’autres temps et autres lieux, il s’était accroché et y a laissé quelques lambeaux de tripes, alors, fini les conneries, il tire sa révérence avant que la situation ne pourrisse définitivement. Il espère que l’herbe sera peut-être plus verte ailleurs et en l’occurrence ailleurs c’est en psychiatrie.
Mais, stupeur et stupéfaction, lorsque la DRH de l’hôpital - et oui, dans le médico-social aussi on considère l’humain comme une potentielle ressource - lui confie la liste des documents à fournir pour finaliser l’accord et préparer son contrat, elle n’omet pas de lui rappeler le nouveau cadre légal, à savoir, le sésame moderne : le Pass Sanitaire.
Merde, cela ne lui avait pas traversé l’esprit. Le Pass Sanitaire, le vaccin, condition indispensable pour travailler dans la fonction publique hospitalière. François Durand, se reprend en pleine face le nouvel ordre social.
Que faire ? Pas de vaccin, pas de boulot. Son ambition insurrectionnelle le travaille un moment et puis, résigné, il monte dans le train et présente son bras afin de recevoir sa piqûre de conformité. Lorsque l’infirmière s’approche, la seringue à la main, François est soudain pris d’un vertigineux doute, « Et si au lieu de me demander de monter dans le train, il s’avérait que l’on me demande de le conduire ? »
Bordel ! Il en pleurerait presque. Tu parles d’un insurgé !