N° 1272 | Le 28 avril 2020 | Critiques de livres (accès libre)
Une réglementation calamiteuse
La multiplication des règles est source d’absurdité. On s’en doutait. Christian Morel nous en fait une démonstration éclatante. Avec les 200 000 normes applicables aux collectivités publiques et les 20 000 pages de procédures techniques du Porte-avion De Gaulle, on n’est plus dans l’aberration, mais dans la démence. Les protocoles ainsi institués acquièrent avec le temps une inertie qui les fige, leur rigidité les rendant contre-productifs. Parce qu’ils semblent coulés dans le marbre, leur adaptation relève de l’exploit. Illisibilité, incohérence, contradiction, instabilité, absence de hiérarchie… les règles sont parfois tellement complexes et sophistiquées qu’elles peuvent se retourner contre la sécurité. A l’image des neuf ans qui auront été nécessaires pour modifier cette norme européenne rendant la bombe d’équitation dangereuse. Qu’à cela ne tienne ! Dix années seront encore requises pour la modifier à nouveau. Il y a vraiment un gouffre entre l’univers des certifications et le monde réel. Face à cette complexité, les acteurs pensent qu’ils ne seront jamais conformes, convaincus qu’il est de toute façon impossible de l’être. Le coût engendré par cet enchevêtrement a même été calculé : 3 à 4 % du PIB. Soit, en France, l’équivalent de 60 milliards e ! Que propose donc l’auteur pour remédier à cette gabegie ? Ce n’est plus la consigne qui doit primer au coeur des activités, proclame-t-il, mais une compétence sans cesse augmentée. Et comment ? En développant la capacité à analyser le contexte et faire face à l’imprévu et l’inattendu. Les moyens pour y arriver ? La formation et l’entraînement ; l’expertise de terrain et l’expérience partagée ; la collégialité et la coopération ; le débat contradictoire et la verbalisation forte de la communication ; l’usage privilégié d’un langage explicite plutôt qu’implicite ; l’interconnaissance et la capacité de compréhension réciproque ; la préférence donnée aux binômes plutôt qu’à l’isolement sur son poste ; le rejet de la culture punitive au profit d’une non-sanction face aux erreurs non intentionnelles ; le retour sur expérience permettant d’enrichir l’apprentissage collectif. La rupture, en quelque sorte avec ces audits, ces certifications, ces accréditations, ces évaluations qui cherchent surtout à contrôler le respect formel des règles et non leur fiabilité face aux fonctionnements réels.
Jacques Trémintin
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