N° 899 | Le 2 octobre 2008 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

La France a peur. Une histoire sociale de l’insécurité

Laurent Bonelli


éd. La Découverte (418 p. ; 25 €) | Commander ce livre

Thèmes : Banlieue, Insécurité

L’insécurité est un phénomène qui a toujours existé. Pendant longtemps, elle fut gérée par les institutions spécialisées qui en avaient la charge. Elle est devenue depuis un enjeu politique tant à droite qu’à gauche : la figure inquiétante du jeune d’origine étrangère, habitant en banlieue et au chômage, a remplacé l’image de l’ouvrier rebelle menaçant les classes dominantes.

Laurent Bonelli nous fait ici une description brillante et fort bien documentée de cette mutation. Plusieurs facteurs permettent d’expliquer cette réalité qui bien qu’elle soit objective n’en n’est pas moins le produit d’une construction. Pour faire face à la crise du logement produite par la guerre et négligée dans la décennie qui suivit, le gouvernement lança un vaste programme de constructions : deux millions d’appartements seront construits entre 1959 et 1969. Ce déplacement massif des jeunesses populaires vers les HLM qui s’ensuivit eut pour effets de faire éclater les cadres traditionnels et d’affaiblir les mécanismes de régulation antérieurs.

La déstructuration du monde ouvrier par le chômage de masse, la précarisation de l’emploi et la déqualification ne firent qu’enfermer les individus dans l’immédiateté et la débrouille. Les jeunes découvrirent le temps vide, l’errance dans le quartier et les rassemblements au bas des tours. Face à cette lente mais irréversible dégradation des conditions d’existence, à l’origine d’une authentique montée des tensions, s’est répandu au sein de la société le mythe libéral d’un corps social qui serait composé d’individus libres et égaux, agissant froidement en fonction de leur intérêt. Il suffirait de leur opposer des sanctions suffisamment dissuasives, pour qu’ils renoncent à leurs méfaits. La délinquance, considérée jusque là comme le produit de causes microsociales liées aux inégalités, devient un acte relevant de la seule responsabilité individuelle.

Les journalistes ont joué un rôle majeur dans cette mise en scène : réduction de l’information à un certain nombre de stéréotypes et d’explications simples (dérive vers des ghettos à l’américaine, rajeunissement et durcissement de la violence urbaine), focalisation sur un individu présenté comme représentatif, valorisation largement majoritaire des approches coercitives et alarmistes (la prévention ou la réhabilitation des jeunes concernés représente moins de 10 % du temps de reportage).

Ce qui est éminemment hétérogène et spécifique est devenu homogène et universel. Illustration, entre le 1er janvier et le 5 mai 2002, soit les quatre mois précédant l’élection présidentielle, les journaux télévisés ont présenté 18 766 sujets sur l’insécurité. L’autorité publique a fait le choix de répondre à ces difficultés en renforçant la répression policière et la sévérité judiciaire. Elle restera inefficace tant qu’elle ne liera pas la sécurité des biens et des personnes à la sécurité existentielle.


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