N° 1074 | Le 13 septembre 2012 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Après avoir lu cette magistrale démonstration de Jacques Lecomte, c’est toute la crédibilité d’un certain nombre d’affirmations et de théories qui s’effondre. Non, les grandes catastrophes ne provoquent ni la panique généralisée, ni le déchaînement d’égoïsme que l’on croit y trouver. Non, le peuple des Yanomamis, décrit par un ethnologue malveillant comme particulièrement féroce et inhumain, n’est pas plus agressif qu’un autre.
Non, la thèse de l’homo œconomicus, qui ne serait motivé que par son intérêt personnel et des choix guidés par le seul calcul entre les coûts et les bénéfices, n’est qu’une fable. Oui, il y a des victimes qui acceptent de pardonner aux pires de leurs tortionnaires. Oui, beaucoup de « justes parmi les nations », qui ont sauvé des juifs pendant la Shoah, refusent de mettre en avant leur action, considérant n’avoir rien fait d’exceptionnel. Oui, des soldats préfèrent tirer en l’air, lors des guerres, manifestant là une inhibition anthropologique à ôter la vie à des congénères qui, sous l’uniforme ennemi, appartiennent malgré tout à leur espèce. Si le plaisir à tuer est surtout du ressort de psychopathes qui ne constituent que 1 % des femmes et 3 % des hommes, l’enfant possède à la naissance des capacités innées à l’altruisme, à l’empathie et à la coopération.
Qu’on ne se méprenne pas. Jacques Lecomte n’a pas décidé de nous réinventer un monde de Bisounours. Il rejette tant les visions pessimistes qu’optimistes et opte pour ce qu’il nomme l’optiréalisme : l’être humain est doté de potentialités tant pour la générosité que pour la cruauté, pour l’amour que pour la haine, pour le bien que pour le mal. En le réduisant à une nature fondamentalement calculatrice, avide de pouvoir et violente, on provoque et on renforce justement ce que l’on voudrait contrôler et limiter, dans une logique de prophétie autoréalisatrice. Alors qu’il existe une éducation permettant de donner sa pleine mesure à la prédisposition à la bienveillance, c’est celle qui met en œuvre deux convictions. D’abord, le souci de soi et le souci de l’autre, loin de s’opposer, s’enrichissent mutuellement. Ensuite, la vie prend sa pleine valeur en contribuant au bien-être des autres. Une telle thèse n’est pas assénée comme une vérité révélée. Elle s’appuie sur une multitude d’études psychologiques largement détaillées.
À toutes celles et tous ceux qui pensent que la bonté humaine est une exception et que l’homme serait depuis toujours « un loup pour l’homme », il faut conseiller la lecture de cet ouvrage qui fourmille d’exemples démontrant le contraire et qui redonne ses lettres de noblesse à l’image positive de notre espèce.
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