N° 1273 | Le 12 mai 2020 | Critiques de livres (accès libre)
La casse du siècle. À propos des réformes de l’hôpital public
Pierre-André Juven, Frédéric Pierru et Fanny Vincent
Une faillite programmée
L’analyse, ici, est limpide et la démonstration est implacable. Les politiques hospitalières ont suivi une remarquable continuité depuis les années 1980 : augmenter les moyens relevant de l’addiction à la dépense publique, il fallait que les contraintes budgétaires incitent les soignants à se réorganiser et à faire preuve de plus d’efficience. Il suffisait alors de transformer chaque établissement en structure autonome et flexible et de confier leur direction aux experts du New Management Public qui avaient déjà fait leur preuve dans le privé.
Premier outil utilisé : un budget local fixé par un strict taux directeur imposé par les ARS. Second moyen, une tarification à l’acte (T2A) : toute intervention est rémunérée en fonction d’un coût moyen, aucun dépassement n’étant compensé. Troisième orientation : le virage ambulatoire. Faire de l’hôpital un aéroport où le patient atterrit et redécolle aussitôt l’intervention réalisée.
Ces trois mesures ont précipité la crise sanitaire. Parce que les directions hospitalières ont priorisé la recherche de rentabilité sur la santé des patients, tentant de conjurer l’endettement et de programmer leurs investissements par des emprunts parfois toxiques ou des partenariats public/privé aux effets délétères. Parce que le financement à l’acte a privilégié les activités les plus lucratives, en excluant toute dimension humaine et relationnelle qui n’est jamais cotée dans les indicateurs formels servant à mesurer la quantité d’interventions assurées. Parce que, si les hôtels hospitaliers gérés par le secteur marchand permet bien de tenir les patients pas trop éloignés des services, la carence de la médecine de ville susceptible de relayer l’hôpital en amont comme en aval nuit aux suivis post opératoires, les patients étant parfois réhospitalisés ensuite aux urgences.
L’efficience est devenue le cheval de Troie permettant de faire des personnels la variable d’ajustement de la recherche de gisement d’économies à faire, de la performance financière à trouver et de la rationalisation gestionnaire à réaliser. Ils ont vu leur savoir-faire méprisé, les temps informels si utiles pour communiquer réduits, la relation de soin dévalorisée, la notion de qualité négligée. Résultat de ce gâchis : absentéisme, arrêt maladie, démission sont devenus les marqueurs d’une souffrance au travail record.
Jacques Trémintin
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