N° 741 | Le 17 février 2005 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Les difficultés qui résultent de la crise de légitimité sans précédent que connaît notre société ne sont en rien le produit du hasard, pas plus qu’elles ne peuvent être réduites à des maladresses ou des excès qui eussent pu être évités. La nécessaire correction de trajectoire qui semble s’imposer est couramment identifiée en terme de recomposition de l’autorité. C’est justement parce que cette autorité implique une inégalité de relation que sa dissolution est le produit direct de la montée en puissance de la culture démocratique « qui est une culture de l’égalité, qui est d’abord celle de l’égale dignité de tous les êtres humains. Elle conduit à penser l’autre sous le régime du “même” : la même dignité, le même respect, les mêmes droits, les mêmes libertés » (p.145). Nul n’est plus fait par nature, ni pour commander, ni pour obéir.
Dès lors, aucun pouvoir ne peut légitimement s’exercer sans se soucier d’obtenir, d’une manière ou d’une autre l’adhésion de ceux sur qui il s’exerce. Sa légalité ne tient plus ni à un quelconque héritage, ni à la grâce de Dieu, pas plus qu’à une personnalité exceptionnelle, mais à un mandat qui reste conditionné par le respect de lois qui définissent les modalités et les limites de son exercice. C’est justement parce qu’il est intrinsèquement fragilisé par les principes sur lesquels il repose, qu’il a d’autant plus besoin d’un surcroît de justification : on est passé de l’argument d’autorité à l’autorité de l’argument qui est en contradiction flagrante avec les valeurs anciennes de soumission à la tradition et à une hiérarchie naturelle. On comprend dès lors, que des institutions comme l’école et la famille, qui sont restées des lieux parmi les moins avancés dans l’expérimentation du lien social démocratique, prennent de plein fouet cette mutation.
Ce qui est étonnant, ce n’est pas tant la crise que l’on connaît aujourd’hui, que le temps qu’elle a mis à advenir. Mais, après tout, en deux siècles, la société a à peine compris ce qu’est une relation d’équité entre adultes, il n’y a donc rien de déshonorant à ce que nous ne sachions pas encore ce que pourrait être une école et une famille démocratiques, pleinement adossées aux principes de l’égalité et de la démocratie.
Fort de ce constat, l’auteur identifie deux perspectives possibles : soit on considère l’évolution récente comme un dérapage irresponsable contre lequel il faut se réarmer juridiquement et moralement par un retour à l’ordre et à la discipline. Soit, on refuse de prendre le passé pour modèle et on s’oriente vers une réactualisation créatrice de l’autorité perdue. C’est ce second choix qui est proposé ici, par l’exploration de l’évolution de quatre champs du pouvoir : gouverner, éduquer, punir et guérir. Alain Renaut signe une analyse et une réflexion d’une intelligence et d’une pertinence remarquables qui contrastent avec les jérémiades passéistes qu’on entend encore si souvent.
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