N° 1326 | Le 1er novembre 2022 | Critiques de livres (accès libre)
Témoignage d’un père
IL a longtemps hésité : avait-il le droit d’ouvrir ainsi son jardin secret, au risque d’importuner avec ses affres et ses émois ? Après une vingtaine de livres consacrés au handicap, Charles Gardou nous offre un nouvel écrit où il conjugue son expérience de père d’une enfant atteinte de la maladie de Retz et son regard anthropologique. Mais, qu’il est difficile de manier l’intime avec l’immensité de l’universel. La naissance a dérobé à sa fille ce qu’il y a de plus sacré : son droit à l’enfance, son intégrité et son futur. Créature innocente, elle a commencé de guingois. Une fois l’incendie déclenché, il s’est propagé et nul n’a été en mesure de l’éteindre. Le syndrome qui l’a alors envahie était inaccessible au scalpel ou au cautère, tout développement mental et physique fut paralysé de la racine à la cime. La roue de la fatalité avait tourné et tranché : la fenaison venait d’éclipser la floraison. Il s’est alors confronté aux ténèbres de la pensée face au handicap, l’être humain refusant de regarder de l’autre côté du miroir, en se confrontant au reflet de ce qu’il ne veut pas être ou espère ne jamais être. Notre société refoule la fragilité et déploie le culte de la puissance, du désir de suprématie et de la volonté de domination. Elle oublie que l’altération, l’éphémère, le vieillissement et la mort sont immanents à tout être vivant. Que l’homogénéité et la stabilité sont des mirages. Que le normal et l’anormal sont des points-de-vue socialement construits. Que ce n’est pas la fragilité qui pourrait nous perdre, mais l’usage inconsidéré de la force qui n’est autre chose que paravent derrière lequel nous cachons notre vulnérabilité. Les classifications nosologiques conduisent à restreindre l’identité à la seule catégorie médicale, en assimilant une personne à sa déficience, son syndrome, sa maladie, son handicap. Les humains se relient entre eux non par des normes, mais par leurs multiples manières de se distinguer, de se différencier et d’être au monde. Et l’un des moyens pour mieux le comprendre se trouve sur le chemin de ceux qui en font l’expérience directe et de leurs proches. Valorisant le savoir de l’intérieur et l’expérience du dedans qui nourrissent les connaissances de l’extérieur distanciées et formelles, l’auteur revendique la mise à l’épreuve du sens par les sens et soutient l’alliance entre le sensible et la raison, sans que l’un ne soit surévalué par rapport à l’autre.
Jacques Trémintin
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