N° 1181 | Le 17 mars 2016 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
L’idéologie néo-libérale s’est construite sur toute une série de postulats qui sont devenus, au cours des décennies, des dogmes. L’individu devrait sa bonne ou sa mauvaise fortune à son unique et simple mérite. Chacun étant propriétaire de ses biens, le libre échange constituerait la condition naturelle de l’homme. Seul le marché concurrentiel libre de toute contrainte pourrait réguler les échanges humains. Les compétiteurs seraient mus par la seule satisfaction de leurs propres intérêts.
On ne dira jamais assez combien sont salutaires les écrits démontrant qu’il ne s’agit là, en réalité, que de constructions conceptuelles qui n’ont comme légitimité que celle que l’on veut bien leur accorder. C’est ce que démontrent David Robichaud et Patrick Turmel, en démontant toute une série de mythes. Si le marché peut représenter un puissant outil de créations de richesses, ce n’est pas parce qu’il est libre, mais parce que, justement, il est structuré par des règles et des conventions communément admises constituant « des normes mutuellement avantageuses et collectivement désirables » (p. 53).
Toute production de richesses est le résultat d’une coopération sociale : Thomas Twaites s’est essayé à fabriquer tout seul un grille-pain. Si le modèle qu’il a conçu s’est mis à fondre à la première utilisation, son coût n’en a pas moins été 250 fois plus cher que le modèle dont il s’est inspiré. Les individus ne sont donc jamais seuls propriétaires de ce qu’ils ont créé, conservant une dette incompressible envers tous ceux qui leur ont permis de le réaliser : « Aucun d’entre nous n’a vu le jour nu dans une grotte, seul, sans aide pour subvenir à ses besoins, ni le moindre patrimoine » (p. 79).
En outre, les succès remportés demeurent rarement liés aux seules qualités des acteurs qui les obtiennent, tant la conjoncture, les opportunités et le contexte pèsent fortement sur leur réussite. Des actes identiques réalisés avec quelques années de décalage, auraient très bien pu échouer : « Ce que nous pouvons espérer de l’avenir est déterminé en bonne partie par des circonstances arbitraires » (p. 101). Les hautes rémunérations, quant à elles, ne sont jamais liées aux performances de ceux qui en profitent : au Japon les cadres dirigeants perçoivent cinq fois moins de revenus qu’aux États-Unis, sans pour autant être cinq fois moins compétents. Nulle part la croissance économique n’a été amplifiée par un faible taux d’imposition des grosses fortunes ou de fortes inégalités.
Tout au contraire, plus une nation est performante en matière d’égalité, plus on constate une évolution positive sur le plan de la santé et du bien-être de sa population : réduction des pathologies mentales et des dépendances tant aux drogues qu’à l’alcool et augmentation de l’espérance de vie, de la performance scolaire et de la mobilité sociale.
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