N° 1303 | Le 19 octobre 2021 | Propos recueillis par Jacques Trémintin | Échos du terrain (accès libre)

La littérature jeunesse au service du travail social

Contact : delacoult.charlyne@gmail.com

Thèmes : Pratique professionnelle, Ecriture

Quand on est éducatrice, on sait comment parler aux enfants. Mais
réussir à écrire des livres à leur intention n’est pas forcément facile.
Pari réussi pour Charlyne Duques-Delacoult qui s’y est essayé avec succès.

Quel est votre parcours professionnel ?

J’ai obtenu mon diplôme d’éducatrice spécialisée en 2015. J’ai ensuite travaillé en foyer d’accueil d’urgence, en pédopsychiatrie et auprès d’adultes handicapés. Aujourd’hui, j’accompagne des enfants âgés de 3 à 18 ans, placés en maison d’enfants à caractère social (MECS).

D’où vous est venue l’idée de produire des livres pour les enfants ?

J’ai toujours aimé écrire, car je trouve que cela aide à déposer ses émotions. J’ai d’abord commencé à décrire mes désillusions professionnelles. Quand on est en formation, on est tous feux, tout flamme. On est rempli d’enthousiasme. Et puis, quand on arrive sur le terrain, on est confronté à une réalité parfois bien décourageante. J’aime beaucoup mon travail en MECS et je suis très attachée aux enfants que j’accompagne. Mais, quand je constate les longues listes d’attente pour être reçu en centre médico psychologique, l’absence de places dans les hôpitaux de jour et le profil de plus en plus abîmé des enfants que nous recevons avec des moyens qui se réduisent, il y a de quoi se démoraliser. Je n’ai pas continué ce récit déprimant que je voulais intituler «  De (s) illusion sociale  », car mon plaisir à aller au travail est toujours présent. Je préfère positiver et avancer, que de constater et me lamenter sur le manque de moyens. J’ai donc préféré me tourner vers l’écriture à destination du public enfantin. J’avais élaboré un nouveau livret d’accueil dans le foyer d’accueil d’urgence où je travaillais. En le rendant accessible à ce que peuvent être le viol et la maltraitance, mais aussi la consommation de substances illicites. Mais, j’ai toujours voulu aller plus loin.

Y a-t-il eu un élément déclenchant ?

En fait, mon projet d’écrire m’est venu le jour où un petit, à qui je montrais l’image d’un livre mettant en scène un pirate portant un gros couteau, s’est exclamé : «  cela me rappelle papa qui avait mis un couteau sous la gorge de mon petite frère  ». J’ai alors compris combien des albums racontant des histoires pouvaient servir de support à l’expression du vécu de la maltraitance. Ce qu’un enfant ne dira pas forcément spontanément, en réponse à des questions directes qui lui sont posées, peut réussir à le faire, au détour d’une activité, d’un moment d’intimité, mais aussi d’un récit qui lui est fait à travers un conte oral ou la lecture d’un livre. D’où mon projet d’écrire pour parler du placement, pour expliquer ce que sont ces institutions qui sont si familières aux professionnels mais si énigmatiques pour le profane, pour aider à faire comprendre ce qu’est le handicap. Mon idée n’est pas de tout expliquer, mais de donner des pistes aux adultes qui vont raconter l’histoire aux enfants, de leur proposer une amorce leur permettant de commenter et de compléter. Mon but est de permettre à tous de se rencontrer, d’apprendre à communiquer et je l’espère un jour, un mieux vivre ensemble. Quand j’ai présenté mon projet à ma direction et à mon équipe, ils se sont tout de suite montrés enthousiastes et m’ont encouragée. Kevin Piquemal, mon collègue psychologue m’a aidée à adapter mon écriture à la compréhension des enfants.

Pouvez-vous nous donner des exemples ?

Dans Les super-héros du goûter, je mets en scène trois groupes d’enfants encadrés par leur institutrice respective qui participent à un jeu commun. Chaque équipe est dotée d’un participant qui a une «  différence  », puisqu’il est atteint d’un handicap. Loin d’être un frein à l’activité, il va être un atout et un avantage. Nicolas, qui est mal entendant, réussit à faire deviner facilement à ses camarades (ayant appris la langue des signes) les mots qu’il leur mime. Tymo, qui est un enfant dit «  à mobilité réduite  », gagne la course de vitesse en faisant rouler très vite son fauteuil… Quant à Charlie, malvoyante, elle réussit rapidement dans l’épreuve consistant à se faire guider sur un parcours par son équipe, avec les yeux bandés. Le jeu se termine par une égalité des points. Ce qui l’a emporté, c’est l’écoute l’entraide et la complémentarité. Pour moi, les différences ne doivent pas être vues comme des difficultés, mais comme des forces spécifiques que tout le monde n’a pas et qui, en étant partagées peuvent enrichir chacun. C’est le message que j’ai voulu faire passer.

Parlons à présent de votre livre sur le placement : qu’avez-vous cherché à expliquer ?

Dans «  Pourquoi Zoanne ne rentre pas chez elle ?  », je me suis mise à la place de ces enfants placés qui ne sont pas accompagnés à l’école par leur papa ou leur maman, mais par un (une) éduc’. Que ressentent-ils ? Que peuvent en comprendre les autres enfants ?
Croient-ils que leurs petits camarades placés ont été abandonnés, voire rejetés par leurs parents ? Les questions peuvent être maladroites, voire blessantes et les enfants que j’accompagne y ont été déjà confrontés. Rien ne vaut la visite en classe de l’éducatrice référente qui vient répondre aux interrogations légitimes. C’est ce que je mets en scène. Mon objectif, c’est bien de changer le regard de la société sur ces enfants qui n’ont rien demandé et qui vivent, en plus de l’épreuve que constitue la séparation d’avec leur famille, les effets de l’ignorance, voire de la médisance.
Pourquoi votre troisième album
est-il consacré aux Centres
médico-psychologiques ?
Dans «  Amé a rendez-vous au CMP  », j’ai voulu démystifier le recours à un psychologue et expliquer ce qui peut se passer lors de ses séances : ce qui s’y dit ; ce qui restera secret dans ce que l’enfant évoque et ce qui ne pourra pas l’être ; le temps que cela dure  etc. Les adultes tentent toujours de faire comprendre ce qui va s’y dérouler. Mais là encore, le support d’un livre constitue un outil utile pour soutenir et favoriser les explications que l’on peut donner.

Avez-vous des projets de futures productions ?

Les enfants que j’accompagne ont été mon premier public. C’est eux qui m’inspirent… comme une louloute l’a deviné : «  tu parles de nous : la petite fille, c’est moi  » ! Un garçon qui fréquente un Institut thérapeutique éducatif et professionnel (ITEP) (qui accueille des enfants souffrant de troubles du comportement), m’a sollicité pour que j’écrive un album expliquant ce qu’est l’école où il est scolarisé. Ce sera mon prochain livre…



À lire Fabrique du social « Bibliothérapie • Lire pour redonner des perspectives » n°1310