N° 776 | Le 1er décembre 2005 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Avant de bénéficier d’une popularité dont elle se serait bien passé, Florence Aubenas avait couvert le procès d’Outreau. Elle avait presque achevé le livre que lui avaient inspiré ces événements, quand elle partit en Irak. Au retour de sa longue prise d’otage, elle retrouva sur son ordinateur le manuscrit d’un ouvrage qui n’avait pas perdu une once d’actualité. Comment un accusé peut avouer ce qu’il n’a pas commis ou comment un magistrat peut acter des déclarations totalement farfelues des questions qui lui étaient devenues terriblement familières.
Dans un style enlevé qui redonne vie aux acteurs de ce drame, elle nous livre les clés de ce qui est considéré comme l’un des pires désastres de la justice française. Au départ, il y a une famille arrêtée pour avoir agressé sexuellement ses enfants. Le père s’enfermera dans le mutisme jusqu’au procès d’assise. La mère, elle, a toujours été prolixe dans le récit de sa vie tumultueuse. Elle sait apitoyer son interlocuteur sur ce qu’elle a subi, n’hésitant pas à montrer les cicatrices qui recouvrent son corps à qui veut les voir. Sa mise en examen lui donnera un premier rôle : « Pour la première fois de ma vie, on me trouvait intéressante. J’avais de l’écoute. » Il y a aussi ces quatre enfants fracassés par les sévices subis. Tous ont été placés avant qu’on découvre ce qu’ils subissaient. Un droit de visite avait été accordé : le mercredi d’abord, puis un week-end sur deux, puis tous les week-ends. Un projet de retour définitif était même envisagé.
Longtemps, reclus dans l’injonction à ne pas dévoiler, ils se mettent à accuser tout et n’importe qui : les voisins proches ou les inconnus croisés dans les magasins. Enfin, il y a un juge, frais émoulu de l’école de la magistrature où il a suivi des programmes spécialisés sur l’enfance maltraitée. Il ne veut pas être montré du doigt comme l’un de ces magistrats qui aurait enterré le martyre de petites victimes. Une procédure judiciaire est ouverte le 5 décembre 2000. Une première rafle intervient en mars 2001 : 60 voisins sont embarqués. Une seconde aura lieu au mois de novembre suivant : là ce sont des notables qui sont arrêtés. Mais l’enquête piétine. La procédure ne tient que par les déclarations des quatre enfants. Plus les policiers fouillent, plus la confusion s’installe. Le huis clos des sept immeubles s’est transformé en labyrinthe sans fin où l’enquête s’épuise. Un adulte est formellement reconnu par les enfants pour les avoir violés à de nombreuses reprises à leur domicile.
Mais, handicapé, il ne peut monter à pied au cinquième étage sans ascenseur, ni s’habiller, ni se déshabiller seul. Il est relâché. Un voyage en Belgique dans une ferme où les enfants étaient soumis aux pires sévices ? Vérification faite, cette ferme n’a pu héberger de telles horreurs. Les enfants affirment qu’un bébé a été enterré dans le jardin ouvrier en face de la tour où habite la famille ? On fouille, mais on ne trouve rien. Des dix-sept accusés emprisonnés pendant trois ans que durera l’instruction, quatre seront déclarés coupables, les autres auront été victimes d’une justice aveugle.
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