N° 1041 | Le 1er décembre 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Voilà un ouvrage, publié par la maison d’édition de la Haute école de travail social de Genève, qui mérite tout à fait le détour. Écrit à deux voix, celle de chercheurs et celle de praticiens de terrain, il nous donne à penser un dispositif de protection de l’enfance qui, pour être marqué du sceau de la spécificité de l’organisation cantonale suisse, n’en rejoint pas moins des préoccupations que l’on retrouve dans les autres pays.
Le constat est commun, quelles que soient les dispositions nationales : les mesures visant à protéger les mineurs peuvent tout à fait répondre à leurs intérêts… comme elles peuvent échouer soit par excès (remettant en cause, de façon excessive, la place des parents), soit par défaut (minimisant et banalisant les risques encourus par le maintien en famille). Cette incertitude ne saurait être évitée tant la notion de l’intérêt de l’enfant reste entachée d’un flou qui ouvre à toutes sortes d’attentes et d’interprétations.
Pour autant, il est possible de canaliser ces contingences en examinant les effets induits par les modes d’organisation institutionnels. Ce que nous proposent justement les chercheurs, en rompant pour la première fois avec la quasi-absence de données fiables quant au processus de mise en œuvre des mesures de protection. Première étude, celle qui calcule le nombre d’intervenants autour d’une même mesure : de 5 à 33, avec en moyenne une quinzaine de professionnels. Une telle profusion ne favorise-t-elle pas la confusion ? Ne dilue-t-elle pas, en outre, la responsabilité de tout un chacun ? Comme si le social partageait la préoccupation des pâtissiers, pour qui plus il y a de couches dans un gâteau à la crème, meilleur c’est !
Second constat, l’imprécision des instructions données par l’autorité judiciaire à laquelle répondent des rapports d’échéance particulièrement sommaires. En l’absence de ces détails pourtant si précieux et utiles, on peut s’interroger sur la minutie et la rigueur avec laquelle sont appliqués les principes légaux de subsidiarité, de proportionnalité et de complémentarité, censés présider aux mesures de protection de l’enfance.
Autre résultat étonnant, seuls 7 % de ceux que l’on appelle en Suisse les « mandataires », employés dans les services de tutelles, ont été formés dans les domaines du droit ou du travail social. Et les auteurs de rappeler combien la qualification constitue une garantie supplémentaire de qualité dans les prises de décisions. Le constat du maintien massif des mesures jusqu’à leur majorité des enfants concernés intrigue les chercheurs, au point qu’ils se demandent si, finalement, il n’est pas plus simple de continuer un placement que de justifier de la pertinence de sa remise en cause.
Enfin, apport innovant, l’introduction aux côtés des mauvais traitements physiques, sexuels, psychologiques et par négligence de deux autres notions : la maltraitance subie par les adolescents en quête d’autonomie et celle vécue par le mineur pris en étau dans le conflit parental (notamment lors d’une séparation), cette dernière constituant 71 % des dossiers étudiés.
Dans le même numéro
Critiques de livres