N° 811 | Le 5 octobre 2006 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
À l’heure où l’on reparle de la carte scolaire, on lira avec beaucoup d’intérêt cette étude sociologique d’une grande rigueur qui permet d’entrer au cœur des mécanismes de la ségrégation scolaire. Malgré les bonnes intentions affichées et les textes réglementaires en vigueur, on constate que 10 % des collèges prennent en charge 64 % des élèves de milieu défavorisé et 10 autres pour cent en accueillent moins de 20 %.
Comment les familles des couches moyennes et supérieures s’y prennent-elles pour contourner la sectorisation ? Elles utilisent trois stratégies. Elles peuvent d’abord choisir pour leur enfant des options rares et sélectives présentes dans les collèges ou lycées réputés (langues rares, classe européenne, option musique…), ce qui leur permet de les y voir affectés. Elles peuvent ensuite les inscrire dans le privé qui lui n’est pas tenu de respecter la carte scolaire. Elles peuvent encore demander une dérogation.
Dans cette quête, elles sont loin de se heurter à l’hostilité de l’administration de l’Éducation nationale. Pourtant, les dérogations sont pensées comme de véritables garants des cadres nationaux face à l’autonomie des établissements. En fait, « les responsables administratifs ne régulent que faiblement les comportements consuméristes des familles et la concurrence entre les établissements » (p.119). On connaît déjà ces établissements qui ont pris l’habitude depuis longtemps de constituer des classes de niveau qui regroupent les bons élèves d’un côté, les mauvais de l’autre, reproduisant ainsi en leur sein les disparités sociales existant entre les espaces urbains. Il y a aussi ceux qui n’hésitent pas à pratiquer le recrutement sauvage, admettant des élèves hors secteur sans aucune dérogation. S’ils peuvent agir ainsi, c’est que les contrôles sont rares et que la hiérarchie de l’institution balance entre la tolérance et le laisser-faire.
À cela plusieurs raison parmi lesquelles des enjeux gestionnaires qui passent avant la justice scolaire (limiter les coûts, préserver les structures et les personnels, produire une élite scolaire…), mais aussi la volonté d’éviter la fuite vers le secteur privé et ainsi de garder au sein du service public les bons élèves. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à l’ouvrage de l’auteur et plus particulièrement à cette scène hallucinante décrivant ces « commissions d’ajustement » réunissant à la fin de l’année scolaire les proviseurs des lycées et qui sont destinées à répartir les élèves de seconde de la rentrée suivante.
Devant les yeux placides d’un inspecteur d’académie, les chefs d’établissement procèdent à des trocs et échanges des dossiers sur lesquels ils ont pu opérer une présélection, ayant eu connaissance en amont des candidats. L’image de ces responsables marchandant les candidatures d’élèves, en se riant de la carte scolaire est bien éloignée de la politique officiellement affichée qui consiste justement à éviter la ségrégation.
Dans le même numéro
Critiques de livres