N° 1071-1072 | Le 19 juillet 2012 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Les progrès de la citoyenneté politique que l’on a pu constater ces dernières années sont allés de pair avec la régression de la citoyenneté sociale. On n’a jamais autant parlé des inégalités, mais on n’a jamais aussi peu fait pour les réduire. Le combat pour cette égalité qui est devenue, aujourd’hui, une divinité lointaine, ne résonnant plus que comme une coquille vide ayant perdu toute portée universelle, a connu de multiples rebondissements au cours de l’histoire. Pierre Rosanvallon nous en fait un récit tout à fait édifiant.
La tradition chrétienne, qui fut l’une des premières forces à revendiquer l’égalité, l’a toujours limitée à une dimension spirituelle et morale, refusant d’en faire un modèle politique et social. La Révolution française, quant à elle, a proclamé la similarité de tous les citoyens, s’en prenant, avant tout, aux privilèges d’une noblesse qui prétendait jusque-là s’élever comme un monde à part, issu d’une lignée hors du commun. Même si le suffrage universel s’est généralisé ensuite bien trop lentement, le cœur de la démocratie réside bien dans la conviction que chacun compte pour un et possède une part de souveraineté. Mais le registre privilégié resta longtemps celui du politique, l’ambition de solidarité se réduisant alors à la simple égalité des droits. L’heure était à l’évocation du talent et de la valeur individuelle comme sources de la richesse et à la naturalisation des inégalités, les pauvres étant considérés responsables de leur misère. C
’est la peur d’une révolte sociale qui impulsa la fièvre réformatrice qui s’empara de l’Europe, à la fin du XIXe siècle. L’instauration des assurances sociales et de l’impôt progressif en fut les marques les plus notables. Le solidarisme en constitua le soubassement théorique, Léon Bourgeois, son fondateur, affirmant que tout individu naît avec une dette envers la société. L’explication de la misère s’inversa : ce n’était plus le manque de prévoyance de l’individu qui en était la cause, mais l’organisation de la société. L’Etat providence se déploya, affaiblissant le pouvoir des actionnaires et actionnant les mécanismes de la redistribution des richesses. Le spectaculaire retour en arrière que nous venons de connaître est dû aux métamorphoses liées à l’individualisme, à la crise des représentations des institutions de solidarité, à la délégitimation de l’État providence et à l’émergence d’un nouveau capitalisme. L’ethos néolibéral fondé sur la responsabilisation individuelle et la méritocratie reprit le dessus, réhabilitant l’enrichissement personnel et l’accroissement des inégalités.
Pierre Rosanvallon esquisse des pistes pour permettre à chaque citoyen d’être à nouveau semblable et singulier avec celui qu’il côtoie : rétablir les sentiments de réciprocité et d’appartenance à la même communauté.
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