N° 1304 | Le 2 novembre 2021 | Par Martine Trapon, membre du conseil d’administration du CNAHES, Conservatoire des archives et de l’histoire de l’éducation spécialisée et de l’action sociale | Espace du lecteur (accès libre)
Oui, Célia Carpaye vise juste dans son édito « la Plume » (n°1301, p.7 ndlr) lorsqu’elle écrit : « Il faudrait questionner l’excitation du monde à sans cesse jauger celui qui n’est pas soi », car ce qui n’est pas moi, justement c’est le social. Peut-on en conclure que Monsieur Blanquer, par exemple, n’a d’autre perception que ce qui regarde son moi et rien d’autre lorsqu’il affirme que l’allocation rentrée scolaire est parfois utilisée pour acheter des écrans plats ? Ignore-t-il donc tout ce qui l’entoure ? Il est intéressant de rappeler la toute première définition de l’adjectif social qui désigne, dans la Grande Encyclopédie de Diderot et d’Alembert : « les qualités d’un homme utile dans la société, propre au commerce des hommes ». Monsieur Blanquer serait-il un homme inutile et impropre au commerce de ses contemporains ?
Et pour ne pas oublier « Ces feux médiatiques qui font la place aux injustices à venir » ainsi que nous en avertit Célia Carpaye, me revient un souvenir de mes débuts dans la profession d’assistante de service social. Je rends visite pour la première fois à une famille pour laquelle l’assistante sociale à qui je succède avait sollicité une action éducative en milieu ouvert. Je suis reçue par la mère de famille et ses deux enfants de 4 et 7 ans. La maison est presque vide, des matelas par terre, une table de camping, quelques chaises et ustensiles de cuisine et un réfrigérateur. Je décide de demander une aide financière exceptionnelle à l’aide sociale à l’enfance, aide qui est accordée. Lors de ma seconde visite, je vois en entrant, une télévision au milieu de la salle à manger ! Je suis troublée, je ne sais pas quoi penser. Je demande alors à la dame pourquoi cet achat lui a semblé prioritaire, elle me donne aussitôt une leçon que je n’oublierai jamais, en me répondant : « Mais parce que, comme çà les enfants auront quelque chose à raconter le matin à l’école ». Je parviendrai ensuite à convaincre l’inspectrice de compléter l’aide financière.
Voilà, nous y sommes, Monsieur Blanquer réduit le poste de télévision, surtout à écran plat, à un statut d’objet de prestige. Bien sur les programmes d’aujourd’hui n’ont plus les qualités de ceux produits par les légendaires réalisateurs dits du « studio des buttes Chaumont ». Le « Théâtre de la jeunesse », et les « Histoires sans parole » qui enchantaient nos dimanches après-midi ont disparu, mais qu’importe, la télévision fait toujours lien social ; et même si je pense comme Jean Luc Godard que la télévision ne montre rien, j’affirme qu’en être privé serait injuste. Car la regarder et zapper selon son plaisir, puisque tout le monde la regarde, reste un signe essentiel de socialisation.