N° 607 | Le 31 janvier 2002 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
La tentation du néant. Comprendre le suicide pour mieux le prévenir
Kay Redfield Jamison
Beaucoup d’espèces animales sont capables de se montrer téméraires et violentes et de s’auto-mutiler. La seule à pouvoir s’infliger la mort avec l’intention de le faire est l’être humain. Ce trait spécifique se retrouve à toutes les époques. Les plus anciennes civilisations y ont eu recours, parfois, comme forme de survie, quand il s’agissait d’économiser les vivres ou de permettre à la communauté nomade de se déplacer sans être handicapée par les vieillards ou les malades.
Dans l’Antiquité, les épicuriens et les stoïciens étaient convaincus du droit de chacun de choisir le moment et les modalités de sa mort. Ce sont les religions juive puis chrétienne qui vont stigmatiser cette pratique en privant son auteur de toute funéraille, voire de sépulture (le corps étant jeté dans une décharge). Il faudra attendre les XVIIIe et les XIXe siècles, pour voir progressivement le suicide décriminalisé.
De nombreuses études ont été réalisées sur cette question. On en connaît les facteurs (hérédité, maladie mentale, tempérament violent et impulsif), les événements et circonstances déclenchants (échec sentimental, faillite, perte d’emploi, maladie fatale ?) ou encore le profil des suicidants (milieux sociaux à risque, tranche d’âge ?), on sait où, quand et comment cela se passe le plus fréquemment. Mais on bute encore sur l’essentiel : répondre avec certitude à la question du pourquoi.
Selon l’auteur, l’immense majorité des suicides peut être associée aux troubles mentaux du sujet : psychose maniaco-dépressive, schizophrénie, troubles de la personnalité, dépendance à l’alcool et à la drogue ? La fréquence de ce geste est plus grande dans les cas de traumatisme psychique que les traumatismes physiologiques (tels le Sida ou le cancer par exemple). « Les difficultés de la vie se contentent de précipiter le passage à l’acte, mais la personnalité typiquement suicidaire se forge ses propres problèmes », affirme un message laissé à la suite d’un geste fatal (cité p.85).
Parmi les signes précurseurs, on trouve le sentiment de ne plus pouvoir faire face ou la vision irrémédiablement pessimiste de l’avenir. La pensée de la personne suicidaire est comme paralysée : elle n’a pas l’impression d’avoir le choix et le désespoir imprègne tout son univers mental. On ne doit, toutefois, pas confondre idée suicidaire et passage à l’acte : une pulsion suicidaire peut être stoppée là où une tentative intervient parfois, sans préméditation et en présence d’une forte envie de vivre.
Cette forme de mort représentait, en 1998, 1,8 % des 54 millions de morts dans le monde : c’est là un problème de santé majeur. Notamment, pour la classe d’âge des 20-25 ans, dont le risque suicidaire a progressé de 260 % entre 1950 et 1980. Au travers de récits parfois poignants, de présentations d’études et de réflexions d’une grande pertinence, l’auteur nous propose ici un ouvrage qui mérite vraiment le détour.
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