N° 884 | Le 15 mai 2008 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Comment un enseignant peut-il s’y prendre pour réussir à faire comprendre à ses élèves les mécanismes qui aboutirent à ce qu’une majorité d’Allemands suive le régime nazi ? C’est la question que se pose Ben Ross, penché sur ses livres d’histoire. Comme la réponse n’y figure pas, la solution est peut-être dans la possibilité donnée aux élèves de la trouver par eux-mêmes. Et voilà notre prof de se mettre à défendre les vertus de la discipline et du contrôle du groupe. À son grand étonnement, la réaction du plus grand nombre est positive.
Dorénavant, chacun devra, avant de prendre la parole, se lever, se tenir au bord de sa table en se maintenant bien droit et en donnant une réponse courte, précédée d’une formule de respect à l’intention de son enseignant. Cette provocation marche d’autant mieux que le prof affiche un air déterminé et sérieux. Au cours suivant, chacun reçoit une carte d’adhérent. Puis, des slogans sont inventés : « La Force par la discipline », « la Force par la communauté ». Le mouvement prend un nom : « La vague ». Un signe de reconnaissance est adopté qui permet de montrer son appartenance. Le groupe d’élève ne bronche pas. Quand, sur son ordre, il se met au garde-à-vous et salue comme un seul homme ou se met à sortir de la classe en ordre, quand il commence à rendre ses devoirs en temps et en heure et que deux élèves lui proposent de lui servir de garde du corps, Ben Ross prend conscience qu’il ne s’agit plus seulement d’un jeu : il s’est transformé en apprenti dictateur.
Nous n’allons pas continuer ici à évoquer la suite de ce récit passionnant dont le lecteur lira lui-même l’issue, s’il le désire. Le roman de Todd Strasser n’est pas né de sa seule imagination. Le récit qu’il nous propose est largement inspiré d’un fait réel qui s’est déroulé en 1969 au Cubberley High School de Palo Alto, en Californie. Cette expérience, lancée par un professeur d’histoire pour illustrer la genèse du fascisme, démontre l’effrayante facilité avec laquelle l’on peut transformer un paisible établissement scolaire en microcosme totalitaire.
En lisant ce livre, on ne peut s’empêcher de penser aux phénomènes de foule que l’on retrouve dans les manifestations de masse (protestation de rue, stades de foot, lynchage…), quand l’individu disparaît derrière l’effet de groupe. On y retrouve aussi ces mécanismes sectaires qui annihilent tout libre arbitre. Et puis, l’on pense à l’expérience du psychosociologue Stuart Milgram concernant la soumission à l’autorité, réussissant à transformer de simples étudiants en tortionnaires potentiels. Mais, on peut encore y voir une réponse possible à tous les thuriféraires du retour à l’autorité et à l’ordre. De quoi, en tout cas, nous faire réfléchir aux conséquences des modèles éducatifs que nous choisissons de pratiquer.
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