N° 850 | Le 30 août 2007 | Philippe Gaberan | Critiques de livres (accès libre)

La vie de radeau. Le réseau Deligny au quotidien

Jacques Lin


éd. Le mot et le reste, 2007 (125 p. ; 15 €) | Commander ce livre

Thème : Autisme

« La ruche se met en route, rythmée trois fois par jour par la sirène et par les poinçons qui perforent les cartons de présence ». Dans les années 60, « avant les Cévennes » comme il le dit lui-même, Jacques Lin débute comme ouvrier chez un fabricant de composants électriques pour l’un des plus grands avionneurs et vendeurs d’armes français de l’époque. Ce n’est pas cette crise de conscience qui sera déterminante dans la trajectoire suivie par celui qui est aujourd’hui encore le continuateur de l’œuvre de Fernand Deligny, mais une soif d’ailleurs. Celle-ci fait que « d’aller à l’usine [lui] coûte de plus en plus » et le pousse à échapper à une « vie sans relief » (p.26).

C’est l’époque où Félix Guattari achète Gourgas, une ancienne abbaye dans les Cévennes, afin que le bâtiment sans eau ni électricité devienne un espace de rencontres, un lieu où « faire tomber les cloisons, côtoyer des comédiens, des artistes, des étudiants… ». L’idée emballe Jacques Lin. « Un comité de gestion se réunit plusieurs fois pour prévoir les premiers travaux d’aménagement, je suis partant » (p.28). Beaucoup passeront, très peu resteront. Mais peu importe ! Car, comme il le dit, « sans ce lieu je n’aurais sans doute jamais rencontré Janmari et Fernand Deligny. Et ce fut le début de presque trente années de vie de radeau… » Ce livre écrit d’une encre sensible est, pour qui veut le lire, un chemin vers la compréhension de ce que c’est que « le moindre geste » ; cette approche du radicalement Autre autiste expérimenté par Fernand Deligny et son équipe à une époque où l’homme moderne entr’aperçoit, le temps d’une fulgurance, sa possible émancipation alors que l’aliènent déjà les illusions de la société consommation. Instant en suspens…

Occasion manquée ? Il est possible de ne pas être d’accord avec tout ce qui est écrit dans cet ouvrage ; il est même raisonnable de ne pas l’être ! Toutefois, à l’heure où tant d’anciens du travail social tournent le dos aux valeurs créatrices de ce secteur et où tant d’autres, jeunes arrivants, ne savent même plus qui est Deligny, La vie de radeau fait œuvre de mémoire et de santé morale. Le métier d’éducateur ne peut pas impunément tourner le dos à son histoire et oublier que le désir d’humain est ce qui porte sa raison d’être. Dans le sillon de son radeau, Jacques Lin rouvre des cicatrices à fleur de peau : « En institution, le roulement des équipes, les congés, les stages, les absences, les remplacements, parfois les dissemblances et les rivalités de pouvoir, ne laissent guère de place à la perception et au respect de ce qui fait repère à quelques individus vivant dans la vacance du langage (p.123). »

Jacques Lin ne règle pas de compte avec l’institution, il rappelle tout simplement que l’Autre ne peut pas être transformé par la force du « je » mais seulement accompagné par lui.


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