N° 968 | Le 8 avril 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Le problème de l’insécurité est devenu hautement médiatisé et politisé. C’est d’abord les médias qui privilégient le sensationnel qui fait vendre. Ce sont ensuite les élus qui voient dans la déclaration de la guerre au crime, l’un des discours les plus vendeurs et rentables : faire peur permet ensuite de se poser comme garant du « retour à l’ordre », par la répression. Face à ce sujet sensible, les auteurs adoptent une posture de recherche scientifique : leur méthodologie tend à l’objectivation et peut être soumise à la critique. Et ce qu’ils nous démontrent avec brio, c’est bien que notre société produit elle-même une augmentation statistique dont elle s’effraye ensuite.
Première illustration : entre 1954 et 1969, le nombre de mineurs jugés est multiplié par trois. Outre, le baby-boom (40 % de naissances en plus, à partir de 1945) qui a augmenté mécaniquement le nombre de jeunes et donc potentiellement de jeunes délinquants, il faut aussi tenir compte d’un mécanisme qui constitue le cœur de la démonstration de l’ouvrage : l’introduction de nouvelles qualifications pénales. Entre 1950 et 1970, on passe de 1,5 million à 15 millions de voitures en circulation. Le code de la route est introduit en 1957-1958. En toute logique, le nombre des infractions routières, qui n’étaient pas jusque-là pénalisées, explose. Idem pour les vols de véhicules. La délinquance des années 1960 est marquée par une société de consommation en plein essor dont la voiture est l’objet culte.
Seconde illustration : la société contemporaine. Les chiffres de la délinquance des mineurs connaissent un bond spectaculaire à partir de 1994, date d’entrée en vigueur du nouveau code pénal qui a multiplié le nombre d’incriminations : harcèlement sexuel, appels téléphoniques malveillants, tags, agressions sonores, menaces verbales etc… L’exemple des coups et blessures volontaires (CVT) est tout à fait représentatif. Lorsqu’ils entraînaient une incapacité temporaire de travail inférieure (ITT) à 8 jours, ils relevaient avant 1994 de la simple contravention. Après cette date, s’ils ont lieu sur mineurs, sur personnes titulaires de l’autorité ou s’ils sont commis en réunion, ils constituent un délit.
Rien d’étonnant dans ces conditions qu’entre 1984-1985 et 2005-2006, cette infraction particulière ait été multipliée par 15 (dans le même temps les CVT avec ITT de plus de 8 jours ont diminué de 17,3 %). Que notre société cherche à diminuer les limites du supportable et abaisser les seuils de tolérance est un choix qui peut s’entendre. Toutefois, il ne faut pas que l’inflation des chiffres de la délinquance juvénile se confonde avec une amplification des pratiques, car il s’agit bien plus d’une nouvelle façon de les identifier et de les réprimer.
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