N° 1080 | Le 25 octobre 2012 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Comment expliquer le silence lourd et pesant qui enveloppe la violence éducative ordinaire ? Car s’il est une constante universelle, c’est bien la banalisation des mauvais traitements infligés aux enfants. Olivier Maurel a lu attentivement vingt et un ouvrages publiés entre 1998 et 2009 sur le thème de la violence. Son constat est implacable : huit auteurs sur dix oublient de parler de celle qui intervient dans l’éducation. Les conséquences de ce type d’agression sont pourtant nombreuses. Ce sont d’abord les effets sur le câblage des neurones du cerveau qui provoquent des dysfonctionnements cérébraux, se traduisant par des troubles de l’humeur et des échanges psychoaffectifs. C’est ensuite, la fragilisation du système immunitaire. C’est encore, un dressage induisant le mensonge et l’hypocrisie, réflexes qui cherchent à éviter l’agression. C’est enfin l’incitation à imiter sur les autres les coups reçus… Les recherches scientifiques dressent un tableau inquiétant, sans que le monde des adultes ne semble s’en émouvoir outre mesure.
L’auteur tente d’expliciter ce pouvoir étonnant que présente la violence éducative de se rendre invisible, voire indicible. Les adultes qui, enfants, ne l’ont pas subie, ne sont pas portés à dénoncer ce qu’ils n’ont pas vécu. Quant à ceux qui en ont été victimes, ils ne sont étonnamment pas les mieux placés pour la remettre en cause. Parce que les mécanismes de déni surgis très tôt, pour supporter les agressions subies, servent ensuite à les justifier : exclusion défensive (exclure les informations angoissantes du système des représentations), redirection de la responsabilité de l’agressivité vers l’enfant (et donc vers tous les enfants), renoncement à incriminer ses parents (et donc tous les adultes). Ce « trou noir » constitue un véritable drame non seulement pour les enfants victimes, mais aussi pour toute la société. « Les enfants battus « pour leur bien » deviennent des bombes à retardement, des volcans dans la profondeur desquels la violence subie s’est accumulée, prête à jaillir à la moindre fracture de la société » (p.154).
L’enfant porte en lui des pulsions aussi socialisantes que brutales, l’équilibre entre les deux étant déterminées par les relations que les adultes entretiennent avec lui. Un enfant entouré d’affection sait en témoigner à son tour à autrui, là où celui qui a été battu sera tenté de reproduire les mauvais traitements reçus. Ce qui humanise les hommes, ce n’est ni la correction, ni la sublimation des pulsions agressives, ni la culture, ni la civilisation, mais la protection attentive, la tendresse, le respect, la considération manifestés au petit d’homme, dès sa plus tendre enfance.
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