N° 1191 | Le 15 septembre 2016 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
S’il est un hommage parmi les plus précieux qui puisse être rendu à un éducateur, c’est bien celui des enfants qu’il a accompagnés. Marie-Hélène Ray fut l’une des pensionnaires du Logis, foyer pour adolescent·es de la région d’Annecy fondé en 1955. Elle le présente dans cet ouvrage, aux côtés de quarante quatre autre anciens pensionnaires ou professionnels qui ne tarissent pas d’éloges sur ce qu’ils y ont vécu.
Le fil rouge qui traverse ces témoignages c’est Pierre Lavy, charismatique directeur-fondateur qui imprima de sa pédagogie originale et créatrice le destin d’un établissement peu ordinaire. Qu’on en juge. Les jeunes accueillis n’avaient guère le loisir de beaucoup s’ennuyer, tant leur emploi du temps de la journée était rempli de l’aube au crépuscule. Les éducateurs au contact des mineurs étaient sans cesse sur la brèche, disponibles et prêts à organiser toutes sortes d’activités : musique, danse, théâtre, informatique, photographie.
Cet investissement d’une grande intensité n’avait qu’un objectif : rattraper le temps perdu pour des enfants maltraités, délaissés et négligés, mais aussi et surtout obtenir chez eux le changement escompté. Les moyens mis en œuvre pour y arriver furent des plus fertiles. La création par exemple, en 1977, de la troupe théâtrale des Snyüles à laquelle tous les pensionnaires étaient intégrés, répétant des chants polyphoniques, s’entraînant à des danses folkloriques, produisant des opéras et des spectacles. L’année 1981 marquée par des fugues à répétition, des agressions verbales et des bagarres, sera l’occasion de l’instauration d’une assemblée générale quotidienne obligatoire. Présidée par un pensionnaire, elle avait pour fonction de se substituer aux codes de la rue en vigueur dans la gestion des conflits et de libérer les tensions, par une parole libre et respectueuse.
Autre innovation, l’organisation d’un système de responsabilisation, chaque jeune accueilli se voyant chargé à tour de rôle de l’une des quarante fonctions identifiées nécessaires au bon fonctionnement de l’établissement. L’implication et l’engagement personnels ainsi exigés ne pouvaient que créer un sentiment d’appartenance. Ce qui n’empêchait nullement la survenue de conflits, mais permettait de les gérer d’une autre façon qu’en l’absence de cette cogestion participative. Une autre originalité encore, la large ouverture de l’établissement vers l’extérieur et plus particulièrement vers des artistes, troupes ou personnalités venus partager avec les pensionnaires d’improbables soirées auxquelles participeront Léo Ferré, Claude Nougaro ou Jacques Higelin.
Cette fabuleuse aventure se heurtera à la volonté standardisatrice d’une administration désireuse de faire rentrer Le Logis dans le rang. En 1986, le directeur sera mis en retraite et le fonctionnement pédagogique ramené à la norme. Dommage.
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