N° 993 | Le 11 novembre 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Le juste et le vrai

Raymond Boudon


éd. Hachette Littérature, 2009 (575 p. ; 12 €) | Commander ce livre

Thème : Sciences humaines

Comment distinguer le vrai du faux ? C’est à cette question que tente de répondre Raymond Boudon, à travers ce recueil d’articles, de conférences et de contributions à des ouvrages collectifs. On a l’habitude d’attribuer la croyance erronée ou la conviction en des idées douteuses à des préjugés irrationnels, à des pensées magiques ou à une mentalité primitive, à un quelconque fanatisme, à une aliénation ou à un aveuglement, à la passion ou à la manipulation, voire encore à une résistance au changement.

Mais, pour l’auteur, rien ne peut vraiment distinguer d’emblée le juste de ce qui est inexact, car l’un et l’autre se fondent sur les mêmes principes et les mêmes règles de fonctionnement des connaissances. Chacun se forge son opinion, à partir d’a priori, d’hypothèses et de conjectures qui s’abreuvent aux mêmes mécanismes mentaux : propension à la simplification, tendance à généraliser des conclusions singulières, tentation d’amplifier une conclusion ou une conséquence limitée, volonté de trouver la bonne raison, confusion entre simple corrélation et causalité, refus d’admettre le seul hasard. Les sciences humaines aggravent encore les dérives du sens commun, dès lors qu’elles prétendent identifier des lois et des tendances irréversibles venant expliquer des mécanismes invariants.

Raymond Boudon n’est pas, pour autant, relativiste. Ce qu’il défend dans la compréhension de ce qui structure la conviction de chacun, c’est le modèle cognitiviste expliquant comment chacun possède d’excellentes et solides raisons d’adopter une croyance ordinaire ou scientifique, un point de vue politique ou privé. Il est fréquent de ne valider que ce qui s’appuie sur une démonstration rigoureuse. Alors que la seule chose qui compte, c’est que les raisons fondant l’opinion soient bonnes aux yeux du sujet, qu’elles fassent sens pour lui, qu’il puisse en tirer bénéfice, qu’il partage avec son entourage proche la conviction d’être dans le vrai et que, finalement, aucune autre argumentation n’aboutisse à une meilleure conclusion.

Comprendre une croyance, un choix moral ou une valeur propres à quelqu’un, c’est avant tout procéder à l’inventaire des arguments qui les fondent, sans chercher à en établir ni la validité objective, ni la congruence avec les faits. Car une position juste ne se mesure pas à des critères ou à des principes qui viendraient transcender, de façon universelle, chaque situation. Comme l’exprime très bien Stuart Mill : « Les croyances pour lesquelles nous avons le plus de garantie n’ont d’autres cautions sur lesquelles s’appuyer que l’invitation constante faite au monde entier de démontrer qu’elles sont sans fondement. »


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