N° 657 | Le 13 mars 2003 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Boris Cyrulnik continue sa quête autour du concept de résilience en nous proposant de tricoter page après page les implications de cette théorie. Ainsi, nous explique-t-il, il n’y a pas pour l’enfant d’événement en soi que l’on puisse identifier comme provoquant à coup sûr le traumatisme, tout morceau de réel pouvant prendre une valeur saillante dans un contexte et banale dans un autre. Après un incident en apparence anodin, d’étonnantes variations psychiques peuvent advenir. Comme le montre l’étude menée sur ces bébés ayant perdu un parent et dont la perturbation ultérieure a pu être corrélée avec le profond désarroi du parent survivant. D’où l’importance de l’accueil par le monde des adultes de ce qui a été vécu. Si l’enfant déchiré se soumet à sa blessure parce que personne ne lui a dit qu’on pouvait la recoudre, le psycho traumatisme peut alors s’installer.
Par contre, la moindre réaction du milieu qui l’entoure peut devenir une bouée à laquelle il se raccroche. « Les enfants qui sont parvenus à devenir des adultes résilients sont ceux qu’on a aidés à donner sens à leurs blessures » (p.64). Parfois, il suffit d’un rien. Dans un contexte sensoriel normal, un sourire, un soupir ou un froncement de sourcil peuvent fort bien rester inaperçus. Le sujet carencé, affamé de sensorialité, hypersensible le détectera comme un événement majeur. Les adultes qui entourent naturellement les enfants ne mesurent pas toujours l’importance de leur rôle comme facteur de résilience. Ils peuvent être sollicités à l’extérieur de la famille quand celle-ci a été la source des traumatismes et en son sein quand l’agression vient de l’extérieur. Ainsi, ces enseignants qui ont bien plus de pouvoir qu’ils croient mais pas celui qu’ils croient : les enfants vont à l’école pour des raisons émotionnelles et affectives et pas seulement pour apprendre !
Autre support de résilience : la narration de ce qui a été vécu. Quand on ne fait pas place à la réminiscence, elle nous hante, telle une ombre dans notre monde intime ou le murmure d’un fantôme et c’est elle qui nous travaille. La stratégie de la résilience consiste à exprimer autrement son émotionalité : reprendre en main l’émotion provoquée par le passé et la remanier pour en faire une représentation de soi intimement acceptable, transfigurer le réel insupportable pour lui donner une forme compréhensible et partageable, tel est l’un des moyens pour maîtriser l’horreur. Dès qu’il trouve une personne à qui adresser le récit de ce qui s’est passé, le blessé commence à reprendre en main son histoire. Pourtant, parfois, la présentation de l’événement confine à l’affabulation, l’enfant se protégeant d’une réalité dangereuse ou humiliante. Seule la démarche visant à rendre le réel supportable peut rendre alors moins nécessaire la mythomanie et la transformer en créativité, passerelle de résilience entre rêverie apaisante et un imaginaire à construire.
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