N° 956 | Le 14 janvier 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
L’expérience du Val d’Europe constitue une singularité à l’échelle d’un complexe d’urbanisation. Quand Marne-la-Vallée émerge, en 1971, le rêve de la cinquième ville nouvelle de la région parisienne se fracasse contre la crise qui survient dans les années qui suivent. C’est la signature en 1987 de l’accord avec Disney, ses 30 000 emplois et 915 millions d’euros de chiffre d’affaire espérés, qui la sauve. Le marché passé est un modèle de bienfaisance de la puissance publique à l’égard de l’univers capitaliste : de fortes réductions fiscales sur l’achat des terrains, le monopole garanti sur tous les équipements sportifs et hôteliers, une TVA réduite de 18,6 % à 7 %, des programmes immobiliers librement assumés par la multinationale américaine. Il était intéressant d’aller voir, dix-sept ans après l’ouverture du parc d’attraction, ce qu’était devenue la région.
Les cinq communes composées de petites maisons de pierre et de fermettes mitoyennes de vestiges classés n’ont pas résisté bien longtemps à la conception rationnelle du territoire des urbanistes de Disney qui, ne respectant ni les valeurs de l’intérêt général ni les idées républicaines, ont soumis le territoire à leurs propres intérêts, imprégnant décor, esthétique, atmosphère et même le symbolique. L’aménagement s’est fait hostile aux piétons, privilégiant l’univers de la voiture. Les bancs publics ont été proscrits, les squares pour enfants se sont raréfiés. Tout doit valoriser le repli sur soi et broyer l’hétérogénéité. Le refus d’un permis de construire est invalidé par le préfet, garant de l’engagement d’un Etat central qui a vendu le pouvoir des communes contre le marché de l’emploi. Il ne reste plus aux élus locaux, comme seule liberté, que de décider de baptiser les axes de noms défiant le géant américain : rue Haddock, avenue René Goscinny, rue Morris…
Le Val d’Europe s’ouvre à tous ceux qui sont prêts à se convertir à la Disney way of life. Les couches moyennes ont répondu en masse, séduites par la constitution d’une élite socio-économique et la réputation d’une microsociété vivant en paix et en totale harmonie. C’est bien volontiers qu’elles se réclament d’une culture basée sur un optimisme méritocratique. Bien entendu, le Val d’Europe se protège des plus pauvres. Des 20 000 personnes en attente de logement social dans le département, aucune ne peut entrer, un candidat local étant toujours retenu quand un appartement se libère. On assiste depuis le milieu des années 1990 à la multiplication des enclaves résidentielles, des micro territoires vigilisés et vidéosurveillés. « Val d’Europe est-il le laboratoire à ciel ouvert de la première ville privée européenne ? » (p.121), s’interroge l’auteur.
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