N° 994 | Le 18 novembre 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Agé de 11 ans, Slimane vit dans une famille complètement tordue. Son père est toujours en colère. Il en est sûr, ce devait déjà être le cas, quand il était dans le ventre de sa mère. C’était une véritable erreur que de l’avoir mis au monde. On n’avait vraiment pas besoin de cela. On devrait interdire aux papas de frapper les mamans et les empêcher de rester toute la journée vautrés sur leur canapé, à s’enfiler des bières. Il en rêve pourtant d’un vrai papa qui soit propre et qui sente bon, qui ne se fasse pas régulièrement licencier de son travail. Quand le sien commence à hurler, il se serre dans les bras de son grand frère Maxence et tous les deux, ils vont se cacher dans un placard. Sauf que papa les trouve parfois et se met à les cogner.
Quand ils finissent par s’endormir, c’est couchés sur leur tristesse et enroulés dans leur peur : « Quand est-ce que ce démon va arrêter de casser nos cœurs et de transformer nos vies en ruine ? » Ce n’est pas la peine d’aller payer pour voir des films d’horreur au cinéma : il suffit de s’asseoir dans leur appartement et de regarder ce qui s’y passe. Il y a des jours où, à l’école, il a du mal à comprendre. Le maître a beau lui expliquer, ça ne rentre pas ! Surtout le calcul : « Si je divise mon père en mille morceaux et qu’ensuite je le soustrais de ma mère, j’obtiens combien ? » Alors, Slimane a voulu partir pour le pays sans adulte. Mais il s’est raté et se retrouve à l’hôpital où il découvre un univers bien inhabituel, puisqu’on n’y frappe pas les enfants.
Pour son deuxième roman, Ondine Khayat a choisi d’aborder le délicat sujet de la maltraitance. Nous voilà plongés dans l’univers de cet enfant essayant de comprendre le monde qui l’entoure, de sa place de petit face à ces grandes personnes aux réactions parfois si étranges. Les personnages sont taillés à la serpe et sans grande nuance. Mais, après tout, cela existe aussi dans la vraie vie. L’immense majorité des parents sont compétents. Une poignée cogne, abuse, rejette et ne sait pas comment aimer, sans doute parce qu’ils ne l’ont pas été eux-mêmes. On peut essayer de les aider à progresser. Mais la séparation entre ceux qui y arrivent et ceux qui n’y arrivent pas est épaisse comme une feuille de papier à cigarette. Un rien peut faire basculer de l’un à l’autre et réciproquement, rendant bien difficile un diagnostic et plus improbable encore un pronostic. Avec ces parents-là, les travailleurs sociaux sont un peu comme Slimane : passant de l’espoir à la déception et inversement.
Ce qui marque dans ce roman, c’est l’absence d’adultes protecteurs en général et des professionnels de la protection de l’enfance, en particulier. Juste une plongée dans le monde hospitalier qui semble peiner à comprendre le drame vécu par Slimane. Comme si les enfants ne pouvaient compter que sur eux-mêmes pour survivre à la maltraitance.
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