N° 745 | Le 17 mars 2005 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Au cours de l’année 2001, la presse s’est fait l’écho de l’ampleur inégalée du nombre de viols collectifs commis par des jeunes de banlieue, sans valeurs et sans repères, soucieux avant tout de punir les jeunes filles maghrébines qui refusent de vivre soumises. Ce scénario serait terrible autant qu’inquiétant s’il n’était totalement fictif. Laurent Mucchielli en fait la brillante démonstration dans une contre-enquête minutieuse et fort bien documentée.
L’auteur commence par déminer un terrain sensible : les violences faites aux femmes sont parmi les plus nombreuses et les moins médiatisées. Ce n’est que très récemment qu’elles ont été reconnues et dénoncées. Ce n’est pas cette réalité qui est mise en cause ici, mais le déchaînement de la mise en scène d’une insécurité générale aux contours très précis, désignant les jeunes en général, ceux des quartiers sensibles en particulier et ceux d’origine immigrée, plus précisément.
Qu’en est-il donc vraiment ? La pratique des viols collectifs apparaît tout au long de l’histoire comme une sinistre tradition initiatique au sein des groupes de jeunes garçons. On l’évoque tout au long du moyen âge. Dans les années 1960, alors que la société est confrontée à la montée des « blousons noirs », elle fait l’objet d’une campagne d’indignation aboutissant en 1966, à une soixantaine de procès. Mais si, entre 1984 et 2002, le nombre de plaintes pour viols a été multiplié par trois, la qualification liée à des faits commis « en réunion » est restée tout à fait stable. Les statistiques ne confirment donc absolument pas la prétendue explosion du nombre de « tournantes ». Laurent Mucchielli décrit bien les mécanismes de la médiatisation qui a fait croire le contraire : c’est la première scène du film « Le squale » qui, montrant un viol collectif dans une cave de banlieue, a marqué les esprits bientôt relayés par le livre de Samira Bellil Dans l’enfer des tournantes. Ces deux événements médiatiques vont largement contribuer à stigmatiser les jeunes des quartiers en difficulté.
Or, les viols collectifs ne sont pas liés qu’aux cités HLM. On les retrouve aussi bien dans des lycées de bonne réputation que dans des équipes sportives. Des adultes s’en rendent aussi coupables comme le prouvent ces affaires de policiers violant des prostituées ou de gardiens agressant sexuellement des prisonniers. En fait, les circonstances de ces violences, pour être toutes inacceptables, n’en sont pas moins multiples. Les auteurs peuvent avoir une personnalité fragile tout autant que d’être dotés d’un cynisme de prédateur impitoyable. Cela peut autant relever du rite de passage, de l’initiation sexuelle et de l’affirmation virile collective que d’une volonté d’imposer sa domination. Il peut s’agir d’un acte de révolte pour se venger de ce qu’on a subi soi-même. Les médias qui devraient être un instrument d’enregistrement ont nettement joué ici un rôle de création de la réalité.
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