N° 892 | Le 10 juillet 2008 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Le lecteur qui souhaiterait trouver une radiographie intelligente et précise des inégalités dans notre pays ne pourra passer à côté de ce petit ouvrage passionnant. Le compromis engagé dans les années d’après-guerre entre un mouvement ouvrier combatif et la frange éclairée du patronat autour d’une répartition des gains de productivité entre le capital et le travail, a volé en éclat à la fin du XXe siècle. La tendance qui avait permis de réduire les disparités, en garantissant non seulement le maintien, mais l’accroissement des revenus tout autant que le renforcement de la protection sociale, s’est inversée. Les politiques libérales, au prétexte de débarrasser l’économie des carcans que représentaient à leurs yeux un coût salarial trop élevé et des charges sociales trop importantes, ont provoqué l’accroissement de la précarité, du chômage et au final l’amplification des inégalités.
Bien sûr, il existe des différences de destin dues à la nature (comme l’impose parfois le handicap de naissance) et à la responsabilité de chacun (on ne réagit jamais à l’identique face aux mêmes circonstances). Mais, la société de classes, dans laquelle nous nous trouvons, pèse de tout son poids pour reproduire, de génération en génération, les mêmes positions sociales. L’argument d’une égalité des chances ou d’une méritocratie est une pure illusion. Si les catégories moyennes offrent bien plus facilement la possibilité d’une ascension ou d’une régression sociale, cette mobilité apparente est souvent à relier aux mutations intervenues depuis une cinquantaine d’années dans l’organisation socioprofessionnelle globale (disparition des catégories agricoles, fortes diminution des ouvriers, accroissement du nombre d’employés et de cadres).
Pour ce qui est des deux extrémités de l’organisation sociale, l’hérédité l’emporte : « Les mêmes enchaînements et rétroactions entre les inégalités qui conduisent à l’accumulation de handicaps à l’un des pôles de la hiérarchie sociale, produisent une accumulation d’avantages et de privilèges à l’autre pôle » (p.66). Pour autant, pas plus que la pauvreté, la richesse ne se réduit à la simple dimension économique. Même si la position au sein des rapports de production et la possession en conséquence de ressources bien différentes apparaissent comme une matrice des autres inégalités, on ne peut se limiter au domaine de l’avoir. Deux autres catégories sont tout autant importantes : l’ordre du savoir (acquisition de diplômes, accès à la culture, capacité d’élaborer des connaissances…) et l’ordre du pouvoir (capacité à défendre ses intérêts, de peser sur l’organisation de la société…).
On ne peut que constater le cumul d’inégalités qui se renforcent les unes les autres et concernent toujours les mêmes catégories sociales tant sur le terrain du logement ou de l’école, que de la santé, des loisirs ou de la consommation.
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