N° 945 | Le 15 octobre 2009 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
La Guerre des boutons, publié en 1912 par Louis Pergaud et porté à l’écran en 1961 par Yves Robert, est un classique de la littérature française qui s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires. Il met en scène deux villages, Longueverne et Velrans, qui se font la guerre depuis des décennies, par enfants interposés. Innovation de la nouvelle génération : le butin exigé par les vainqueurs, à l’issue de chaque affrontement, ce sont les boutons et les lacets des vaincus, ce qui constitue une « triple peine » : la défaite, l’humiliation de rentrer le pantalon au bas des chevilles et la raclée paternelle. Première stratégie de Lebrac, chef des Longueverne : constituer un trésor de guerre composé de ces précieux accessoires, les filles étant réquisitionnées comme couturières. Mais, la cachette est pillée par l’adversaire, le traître ayant fourni l’information étant cruellement battu par ses anciens copains. Finalement, l’armée de Longueverne se décidera à attaquer… complètement nue.
Bertrand Rothé a imaginé un récit transférant ce roman du début du XXe à nos jours. Qu’arriverait-il aux adolescents de la Guerre des boutons ? Ce qui était alors considéré comme de banales transgressions juvéniles, que le système scolaire très hiérarchisé et l’intégration rapide par le travail à l’atelier ou dans les champs régulaient alors naturellement, est devenu aujourd’hui un acte justifiant d’une réaction pénale immédiate, voire l’incarcération des fautifs. Et l’on suit le dépôt de plainte des familles, l’examen des victimes par le service médico-judiciaire, l’interpellation des mis en cause, leur interrogatoire par la police, leur suivi par un éducateur, leur détention préventive, leur jugement devant le tribunal des enfants, leur peine de prison, leur placement en foyer, leur tentative de réinsertion.
Cette fiction propose au lecteur une présentation précise, exacte et fort bien documentée des procédures de traitement de la délinquance juvénile. Mais elle nous permet pour autant de relativiser une démarche qui nous semble aujourd’hui légitime, en la replaçant dans une époque marquée par les effets de la dérive sécuritaire. Le choix de ne pas laisser la moindre infraction à la loi impunie et de systématiser la réactivité de la justice a multiplié par six le nombre d’alternatives aux poursuites (qui sont passées de 68 879 en 1994 à 414 693 en 2004). Favoriser ainsi la prise en charge par l’institution judiciaire de faits qui ne l’étaient pas jusque-là, présente l’immense avantage de ne pas installer le mineur concerné dans le sentiment de toute-puissance et d’impunité. Mais ce recours précoce a pour inconvénient majeur à la fois de grossir les statistiques du nombre des actes de délinquance, mais aussi et surtout d’accélérer la graduation des sanctions, jusqu’à incarcérer Lebrac et ses compagnons.
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