N° 1333 | Le 14 février 2023 | Par A. G, éducateur spécialisé | Espace du lecteur (accès libre)
Parfois, ou plutôt souvent, j’ai l’impression que les éducateurs que nous sommes ne sont pas jugés à leur juste valeur. Loin de moi l’idée de nous envoyer des bouquets de roses par la tête ou d’imposer qu’une violoniste soit présente à chacune de nos bonnes actions, mais j’aimerais tout de même rectifier quelques lieux communs.
Non, nous ne nous occupons pas des enfants. Enfin si, mais c’est réducteur. Nous ne sommes pas non plus attendus sur notre capacité à faire du toboggan, jouer au foot ou faire un quatre-quarts. Nous ne sommes même pas non plus une simple personne qui, par le fait qu’elle soit adulte, doit nécessairement faire office de cadre ou de réassurance. Combien de personnes avons-nous vues, dans des établissements sociaux, qui ne rassurent pas du tout le groupe voir pire, l’insécurise ?
L’âge ne veut rien dire, notre capacité à savoir jouer à tel ou tel jeu non plus. Notre travail va bien au-delà de cela et tout adulte se baladant dans la rue ne peut pas faire un bon éducateur.
Il faut, je le crois, une certaine sensibilité, une capacité d’écoute importante, une honnêteté intellectuelle et une intelligence certaine. Et ça, ce ne sont que les fondations. Ensuite, il y a le savoir-faire, notre travail manuel, celui qui ne se voit pas et qui se passe dans notre cerveau. Et c’est bien celui-ci le plus difficile à expliquer, à transmettre, à partager.
Voilà pourquoi je me considère comme un artisan… Un artis’enfant. Je me dois de restaurer, de fabriquer, de réparer, de transformer tous les jours ma posture éducative. Je dois m’adapter… Je ne change pas les enfants, ce sont mes interventions que je dois modifier. Si lundi, cette façon de faire n’a pas fonctionné, il faut que mardi j’essaye autre chose. Et ainsi de suite… Et à force d’essayer, de tenter, de chuter et parfois de réussir, je crée de l’expérience. J’utilise aussi des outils, comme l’artisan : je serre la vis aux enfants quand il le faut, je choisis les bonnes clés, je les brosse dans le sens du poil et je reste souvent scié par leurs histoires personnelles…
Je crois alors qu’un éducateur est la somme de valeurs, de formations, de connaissances et surtout de savoir-faire, sans lequel il est difficile de tout saisir et de tout comprendre. Il faut répéter inlassablement le geste, les efforts. Il faut éprouver
et se remettre en question. Un artisan menuisier ne réussit pas sa table, dès la première fois, le peintre déborde sur le mauvais mur et parfois même le coiffeur nous taille un petit bout d’oreille qui dépasse.
Comme tous les savoir-faire, cela se transmet par les Hommes avec un grand H. Nous avons tous des modèles éducatifs, des personnes avec qui nous avons plus accroché et qui nous ont permis de grandir. Nous sommes comme les artisans, à l’image du cordonnier qui ne veut pas que son art disparaisse. Pour cela, il faut que l’on partage plus encore plus, et surtout qu’on écrive afin de laisser des traces.
Tout cela pour dire que chaque adulte ne fait pas un éducateur, n’en déplaise à nos supérieurs qui sont prêts à prendre n’importe qui pour faire de petites économies ou par facilité. Il faut le crier haut et fort, nous avons un savoir-faire, nous avons des compétences acquises que personne d’autre ne possède spontanément : nous savons observer et comprendre les méandres de chaque enfant ; nous avons des idées pour les aider ; nous savons gérer les groupes, donner une place à chacun et être respectueux de ce qu’ils sont et de ce qui ils souhaitent devenir.
Nous sommes des artis’enfant, et nous devons le rester.