N° 925 | Le 16 avril 2009 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
L’essai d’Etienne Liebig est l’un des meilleurs livres sur l’adolescence qu’il m’ait été donné de lire depuis quelques années. Drôle, saignant et pertinent, il devrait être remboursé par la Sécurité sociale à tous les parents et/ou professionnels déprimés. Certes, il ne manque pas de piquant dans sa description de ces Aliens mous à iPod greffés sur les oreilles, adoptant souvent un rythme de gastéropode neurasthénique qui fait passer le mime Marceau pour un hyperactif.
Mais cette ironie mordante n’est rien à côté de celle qui frappe de plein fouet les adultes. Les chercheurs universitaires ? Leurs publications cherchent à figer les comportements dans des concepts déjà caducs. Les observateurs alarmistes quant à l’utilisation des nouvelles communications ? Les espaces non contrôlés par les adultes se raréfient tellement que les ados se réfugient dans les seuls lieux d’intimité qui leur restent : Internet, les tchats, les SMS, le virtuel. Les éducateurs ? L’adulte sait toujours ce qui est bon pour l’ado. Problème : celui-ci n’adhère jamais à son projet. La pédagogie est bien plus l’apprentissage du respect de l’organisation sociale, que la quête de son bien-être. Le jeune est le principal acteur de sa transformation.
Ce sont ses expériences, ses échecs, ses tentatives qui vont dessiner l’adulte qu’il deviendra. La prévention ? Avec tout ce qu’on leur rabâche depuis qu’ils sont nés, s’ils n’ont pas entendu, c’est qu’ils ont besoin d’un oto-rhino plutôt que d’un psy. Les psys, justement ? Ce qui devrait être perçu comme une expérience devient le symptôme d’une pathologie à découvrir, ce qui fait le bonheur d’une bande de gourous de tous poils. Le refus de l’autorité ? En réalité, l’ado essaie de trouver maladroitement quelques espaces de liberté dans une société toujours plus sclérosante qui prétend contrôler chacun de ses actes. Ce petit adulte, en voie de finition, ressent le besoin irrépressible de se mesurer à la vie, au monde, à la société. Ses positions doivent être excessives et caricaturales pour se poser de façon repérable aux yeux des autres. Tout irait bien mieux si on acceptait une bonne fois pour toutes que les ados sont irrationnels. On leur lâcherait la psyché.
Mais l’adulte manifeste un tel besoin de rationalité, qu’il ne peut admettre qu’un geste soit gratuit, passager, insensé. Il doit être signifiant. Jouer un rôle signifiant et tisser un lien de confiance passe d’abord par l’acceptation de tous ces mouvements perpétuels, ces retournements, ces systématismes incongrus, ces promesses non tenues, ces contradictions permanentes et cette incohérence nécessaire. Les problèmes des ados vont se régler avec le temps, surtout si on ne stigmatise pas ou que l’on ne diabolise pas leurs comportements, comme s’ils étaient définitivement inscrits dans leur personnalité.
Dans le même numéro
Critiques de livres