N° 879 | Le 3 avril 2008 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Les corridors du quotidien

Paul Fustier


éd. Dunod, 2008 (169 p. ; 19 €) | Commander ce livre

Thème : Internat

Le modèle traditionnel de l’internat éducatif se présente en creux : il s’agit de répondre aux besoins, en comblant au mieux et au plus vite. L’enfant reçoit donc les solutions, les réponses, les présences, les activités, les prestations des spécialistes qui sont censées faire disparaître les absences et les manques dont il a tant souffert.

L’institution se positionne à une place de mère archaïque, celle qui pourvoit aux nécessités de son bébé et est capable d’adaptation totale à ses besoins. C’est la position de « préoccupation maternelle primaire » dont devrait bénéficier tout nourrisson dans ses premiers mois. Très naturellement, l’enfant va nourrir l’espoir de retrouver chez les personnes qui s’occupent de lui cette mère tant dévouée.

L’adulte ne peut qu’être ému par cette attente qui lui est destinée : l’enfant carencé, vide d’amour, se verrait ainsi rempli d’un plein affectif qui viendrait compenser la défaillance qu’il a subie. Ainsi, le groupe éducatif tend-il à reproduire les caractéristiques d’un néo-milieu familial.

Malheureusement, ce schéma ne fonctionne pas ou, plus exactement, il ne fonctionne qu’à moitié. S’il existe bien des zones institutionnelles d’étayage, quand le dispositif de prise en charge met en place des activités de dérivation des tâches maternelles, l’éducateur échoue à tenir cette place impossible. Il doit accepter à la fois d’être convoqué à une place de mère idyllique et à la fois de faire le deuil de l’illusion de pouvoir se substituer à ce que l’enfant a définitivement perdu.

Dès lors, il ne peut que décevoir celui-ci et provoquer en retour chez lui des réactions de haine et éventuellement de violence à son égard. Il va alors devoir traiter les sentiments d’injustice, de déception et d’indignation de cet enfant et accepter sa colère, sans la retourner contre lui. Il doit accueillir ces sentiments tantôt positifs, tantôt négatifs, sans s’y confondre. On se situe là dans une ambiguïté qu’il ne faut pas chercher à réduire : « Je demande qu’un paradoxe soit accepté, toléré et qu’on admette qu’il ne soit pas résolu », expliquait déjà Winnicott.

L’institution peut favoriser chez l’enfant un investissement archaïque. Il suffit pour cela qu’elle tente de pourvoir en interne à tous ses besoins. Elle peut aussi fonctionner sur la coexistence de deux éléments incompatibles : être à la fois une famille et une non-famille. Il faut pour cela qu’elle n’ait pas pour objectif de satisfaire à toutes les exigences de l’enfant transformé en client-roi, que l’organisation de l’espace et du temps soit préexistante à son arrivée et que celui-ci n’ait pas prise sur ses règles de fonctionnement.

Au final, la réussite d’une prise en charge par une relation d’accompagnement de la vie ordinaire n’est possible qu’à condition que l’on prenne en considération son nécessaire échec.


Dans le même numéro

Critiques de livres