N° 734 | Le 16 décembre 2004 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Il est d’usage d’opposer liberté et interdit, la première étant à chérir et le second à proscrire. Michel Fize nous rappelle avec force dans un ouvrage fort bien documenté, que loin d’être antagonistes ces deux notions sont éminemment complémentaires. Bien sûr, si l’interdit s’impose de façon absolue à certaines libertés (comme celles de nuire à autrui), il n’est parfois jamais opposable à d’autres (telle la liberté de pensée). Mais, la liberté ne peut être absolue que pour l’ermite, ou celui qui dénie le reste du monde.
Son authenticité est circonscrite à l’acceptation des contraintes de toute vie respectueuse de l’autre. Si les animaux mettent d’instinct une limite à la violence destructrice pour leur espèce, les hommes menacent d’anéantissement leur société. Et c’est bien parce que l’humanité se laisse spontanément guider par la violence et la jouissance et que chaque homme peut nourrir le dessein de tuer ou de dominer son prochain, que l’on retrouve les interdits universels ou spécifiques à chaque société. Objets traditionnels de réprobation en ce qu’ils menacent notre satisfaction, ils ont été particulièrement malmenés au cours des dernières décennies. On leur a reproché d’être inutiles et insupportables, injustes et inégaux.
Mai 1968, les considérant comme attentatoires à l’espace vital individuel et au droit d’exister, a décrété qu’« il était interdit d’interdire ». Mais, si chacun les fuit volontiers, il exige dans le même temps qu’ils le protègent de la toute-puissance de l’autre. Car si leur vertu première consiste bien à nous libérer de nos pulsions aveugles et de nos désirs qui, non contenus, seraient illimités car à jamais insatisfaits, c’est justement parce qu’ils nous aident à cerner le désirable et à lui donner de la consistance. Pourtant, les interdits ne sont rien en eux-mêmes. Ce qui compte c’est le sens qu’ils prennent. Ils concernent tout autant les domaines familiaux, conjugaux, scolaires, professionnels, juridiques, alimentaires, écologiques et interviennent dans les domaines liés au sexe ou à l’âge et sont liés aux opinions politiques, philosophiques ou religieux. Leur évolution dans le temps est chose normale.
Tout comme la remise en cause de leur caractère naturel ainsi que leur questionnement systématique qui n’implique nullement leur anéantissement. Passé au crible de la critique, ils ne sont plus acceptés en tant qu’héritage d’un passé autoritaire mais à partir de leur légitimité. Seuls ceux qui suggèrent les comportements les plus sociables, qui instaurent le dialogue et visent à une fin juste, qui favorisent les civilités et le vivre ensemble sont validés. Il s’agit finalement d’un processus qui vise à leur harmonisation avec l’exigence démocratique, l’enjeu étant que les règles du jeu ne se brouillent pas en tant que contrat organisateur au profit du simple rapport de force. L’équilibre entre le permis et le non-autorisé reste plus que jamais l’une des bases essentielles de la vie sociale.
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