N° 735 | Le 6 janvier 2005 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Voilà enfin réédité le livre de François Chobeaux consacré à ces vagues de zonards qui se sont mis à errer de festivals en festivals à partir des années 1990. Ce ne sont ni des fugueurs, ni des sdf, ni des routards : ils se déplacent entre le printemps et l’automne, sans but réel autre que l’errance elle-même. Les Ceméa, refusant la stratégie dissuasive et répressive adoptée par certaines municipalités, acceptèrent alors d’élaborer des réponses alliant le social, le sécuritaire et l’humanitaire. Aménageant des lieux d’accueil proposant le gîte pour la nuit, des consignes pour entreposer les affaires, des douches… mais surtout une présence et une écoute chaleureuses assurées par des professionnels, ils accumulèrent une somme de connaissances et d’analyses dont on trouvera ici une synthèse passionnante.
Dix ans plus tard, la nouvelle génération techno est venue remplacer la précédente, mais les problèmes n’ont guère changé. La zone reste cette dimension où l’on vit dans l’entre deux du temps et de l’espace, suspendu entre soi et l’autre. Elle est le résultat d’une fuite en avant, d’une vulnérabilité narcissique compensée par l’agir et d’une rupture liée à une immaturité affective qui n’a pas permis de construire une identité solide et autonome. Elle se résume à une quête permanente d’argent, à la recherche d’un état psychique second et à l’incertitude de ce que sera l’heure qui suit. Les successions d’actes irraisonnés, les récits jubilatoires de violence, l’exhibition de cicatrices, l’intolérance permanente à la frustration et à l’interdit, les passages constants à l’acte signent une structuration psychoaffective située du côté de la psychopathie.
La fraternité de la rue n’est qu’un mythe : la réalité est plutôt celle des vols réciproques, de la défiance, de la survie. Même s’ils donnent l’impression de faire masse, les zonards n’ont aucun comportement collectif : ce ne sont pas là des acteurs et créateurs conscients et responsables d’un nouveau style de vie mais bien plutôt les victimes de l’affaiblissement des liens sociaux et des fragilités familiales. « La vie d’errant n’a en fait rien d’exotique et rien qui puisse laisser penser qu’un réel mode de vie, une culture sont en train de naître ici.
C’est une vie morne, sans joie, dégradante, suicidaire. C’est un enfermement dans une souffrance individuelle et dans une absence totale de sens, dont l’analyse ne fait pas apparaître actuellement d’issue positive, si aucune intervention d’accompagnement de fond n’est construite auprès de ces jeunes qui ne demandent plus rien » (p.59-60). Nouer une relation éducative passe par une réponse à la souffrance qui contourne les systèmes de défense et préserve la dignité. Constat terriblement négatif que vient tempérer l’auteur dans la préface à cette seconde édition : il explique que certains sont sortis sans dommage de cette épreuve. Mais c’est pour constater aussitôt que ceux-là avaient vécu une enfance et une adolescence équilibrées.
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