N° 787 | Le 2 mars 2006 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
L’église catholique a toujours tenté de réduire la sexualité en la confinant à la stricte nécessité de la reproduction biologique. C’est très naturellement qu’elle a appliqué cette doctrine à l’enseignement qu’elle a longtemps gardé sous sa coupe. L’école laïque a emprunté à sa rivale ces convictions : il lui fallait démontrer qu’elle pouvait éduquer moralement les enfants sans le secours des religions révélées. La seule conduite acceptable relevait du célibat, du sacrifice, de la vocation. Les enseignants devaient donc être insoupçonnables dans le domaine de la moralité sexuelle. Dans les collèges, ils se devaient d’habiter dans l’établissement, manger à la table commune et porter une longue robe professorale.
Sous la troisième République, on ne compte guère plus d’un tiers d’instituteurs mariés. Si la mixité des élèves s’impose à compter des années 50, c’est d’abord par souci d’économie, pour regrouper les classes dans les campagnes. Mais « il faudra attendre longtemps avant que les planches anatomiques sans sexe et l’écorché castré disparaissent des livres et des salles de sciences naturelles » (p.114). C’est difficilement et douloureusement que l’Éducation nationale a rompu avec le mythe du sanctuaire protégé des influences de la société et s’est ouverte à la question de la sexualité. Régulièrement, la question fait débat. Cela a été le cas en 1971, quand l’information sexuelle entre dans les programmes ; en 2000, quand le droit est accordé aux infirmières scolaires de donner la pilule du lendemain et la même année, quand un enseignant de français subit une garde à vue de trois heures sur plainte de parents. Son seul tort est d’avoir proposé à ses élèves la lecture commentée du roman d’Agota Kristof, Grand cahier (traduit en quinze langues), qui comporte des scènes de zoophilie et de fellation. L’ajustage entre sexualité et école est donc encore problématique.
Pourtant, expliquent les auteurs, l’acte d’enseigner procède d’un désir de fécondité spirituelle. La célèbre maïeutique socratique supposait une relation homosexuelle « platonique », c’est-à-dire une relation pédérastique qui n’allait pas jusqu’à l’acte sexuel proprement dit. Le pédagogue moderne n’est guère différent. Il se doit d’être séduisant sans jamais être séducteur. Car ce que cherche le maître, c’est que son élève devienne, par une série de renversements et de déplacements, amoureux non plus de lui, mais du savoir. Chaque relation pédagogique recèle donc une part de séduction naïve ou roublarde, troublante ou cynique. Certain(e)s ont franchi le Rubicon en se livrant parfois à leurs pulsions pédophiles ou en tissant aussi une relation amoureuse avec leur grand(e) élève adolescent(e). D’autres encore ont payé de leur vie ou de leur honneur des accusations odieuses. Si séduire, c’est corrompre l’innocence, c’est détestable. Mais si séduire, c’est plaire et captiver, cela est essentiel à l’art d’enseigner.
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