N° 640 | Le 31 octobre 2002 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
L’aventure de l’inconscient a pris au travers de l’histoire et des continents d’innombrables formes et suivi d’incroyables trajets. Si la moitié du monde ignore le concept inventé par Freud, djinns, génies et esprits de la terre y règnent pourtant en maître, comme ce fut le cas (et l’est encore, parfois) dans nos contrées pour les guérisseurs, les devins, les rabbins hassidiques, les rebouteux et autres maîtres des esprits. Les thérapeutes ne se sont, en réalité, adonnés qu’à du bricolage : certains faisant jouer du théâtre à leurs patients (psychodrame), d’autres préférant le face à face (psychothérapie), d’autres encore proposant de les toucher ou de les bercer. Mais, il n’existe guère de différence fondamentale entre un psychanalyste et un chaman, l’un et l’autre cherchant dans la parole, avant tout à réorganiser le sujet et à impulser une transformation organique. Seule chose qui les oppose : le premier se tait alors que le second parle.
Il en va de même avec l’interprétation des rêves qu’on retrouve souvent comme moyen de percer à jour l’être humain. Partout, cette pratique influe d’autant plus sur le destin des hommes qu’elle les prédispose à obtempérer à ce que cette lecture a pu prédire de leur avenir. Seule exception à cet universalisme, l’Inde où l’inconscient a d’autant moins sa place que l’individu n’existe pas : l’idéal n’y est pas dans l’accomplissement de la conscience, mais dans sa dissolution dans l’infini.
Au travers d’un récit haut en couleur et finement illustré d’une riche iconographie, Catherine Clément nous propose une revue de ce que l’histoire a réservé à l’inconscient. Un Fliess (l’un des nombreux compagnons de route de Freud) qui écrit un traité sur les relations entre le nez et les organes génitaux (un rhume chez la femme correspondrait ainsi à une érection, et chez l’homme aux menstrues !). Un Jung qui défend l’idée d’un inconscient universel et qui adoubera le nazisme au point d’avoir manqué de peu, un procès comme criminel de guerre. Un Lacan allant encore plus loin que Freud qui pensait que le patient doit se débrouiller tout seul avec ses découvertes : il faut renoncer à aider pour ouvrir les portes à des choix libres, affirmera le psychanalyste français, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle éthique. Un Winnicott qui recentre la théorie sur la mère en faisant émerger ce qu’il y a de féminin chez l’homme et de masculin chez la femme.
Mais voilà qu’en cette fin de XXe siècle, la dépression est attribuée au déficit de deux neurotransmetteurs qui régulent le cerveau (la noradrénaline et la sérotonine), relançant le traitement chimique des troubles psychologiques. Mais après les chocs, les chaînes, les douches, les électrochocs, les aimants, les boules brillantes, les scanners, la chirurgie, les attouchements, les massacres, les orgies, les caresses, les coups et les comprimés, gageons que l’inconscient survivra.
Dans le même numéro
Critiques de livres