N° 728 | Le 4 novembre 2004 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Robert Neuburger se réclame à la fois de la psychanalyse et de la thérapie familiale. Si la première école a largement essaimé dans notre pays, la seconde, bien moins connue, mérite qu’on s’y attarde un peu. Sa perception de la famille propose une vision qui rompt avec la traditionnelle pratique prédictive, celle qui tend à anticiper son effet en s’appuyant sur une approche causaliste (une cause provoquant un effet). Rompant avec tout déterminisme, elle identifie au contraire plusieurs niveaux logiques. Ainsi, la famille peut-elle être comprise comme une institution destinée à se perpétuer en établissant une filiation, l’amour n’apparaissant ni comme une constante ni comme une nécessité à cette fonction.
En fait, la culture prend nettement le pas sur le biologique : ce qui compte ce n’est pas tant le gène que la parole. L’important n’est pas tant dans la famille que dans ce qu’on dit de la famille. Elle peut aussi être abordée à partir des mythes qui la structurent et des rites qui renforcent le sentiment d’appartenance de ses membres. S’attaquer de front aux mythes familiaux, c’est prendre le risque de s’aliéner le groupe qui s’y rallie. Car toute famille dispose d’un idéal de fonctionnement, qu’elle réfère à tel ou tel modèle et qui lui permet d’exister et de se différencier des autres familles. Quant aux rituels familiaux (baptême, circoncision, ressemblances alléguées…), ils peuvent s’avérer aussi bien un carcan qu’un outil thérapeutique potentiel pour favoriser le changement. Vient ensuite la question de la normalité.
La famille réduite à un couple et à ses deux enfants n’a rien de traditionnelle puisque cette forme a attendu la fin du XIXe siècle pour émerger. Plus on remonte dans le temps, plus on trouve des groupes familiaux élargis avec des sous-groupes… finalement assez proches de nos familles « recomposées » modernes. Il est vrai qu’aujourd’hui, couple et famille sont rentrés en concurrence. Mais c’est bien à tort qu’on relie la difficulté d’un enfant plus au divorce de ses parents qu’à son mode de vie classique, alors que dans un cas comme dans l’autre, il y a autant de problèmes. Il n’y a rien de plus labile que la nosologie, ce qui est pathologique ou interdit, devenant souvent, par le biais du désirable, normal.
On doit surtout s’inquiéter face à l’anormalement anormal. Ces entrées multiples qui permettent d’aborder la famille et le couple donnent à les voir comme des systèmes auto organisés, aptes à protéger leurs frontières et leur identité, à l’aide de mécanismes complexes. Et le rôle du thérapeute, affirme l’auteur, doit se situer entre l’attitude spontanéiste et l’attitude scientiste : il ne doit pas chercher à réparer les défauts, les manques supposés ou à comprendre le problème en prédéterminant les conduites souhaitables, mais fournir la possibilité d’établir de nouvelles connexions et de favoriser la créativité du groupe lui-même.
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