N° 1324 | Le 4 octobre 2022 | Par Christine Maurey, assistante de service social en établissement médico-social | Espace du lecteur (accès libre)
Les usagers savent-ils ce qui est bien pour eux ? (prolongation de Paroles de métiers n°1323)
Et si nous répondions non ? Pour qui passerions-nous ? Pour de vieux machins sûrs de savoir ce qui est bien pour l’autre comme au fond les parents d’avant savaient ce qui étaient bon pour leurs enfants ? Pour des professionnels tout-puissants un peu pervers ou pire, des gentils qui pensent qu’une personne qui demande n’est pas capable de savoir ce qui est bon pour elle ? Quand on est fort, on se débrouille, on n’a pas à demander.
La réalité est éminemment plus compliquée…
Ne sachant pas trop comment démarrer, j’ai été glaner des réponses chez des collègues. J’ai été interroger quelques professionnels avec, en arrière-pensée, ces questions : les personnes que nous recevons savent-elles ce qui est bon pour elles ? Auquel cas, à quoi servons-nous vraiment ? Ne serions-nous que les relais entre administrations et usagers ? Entre des familles et des enfants ou adultes avec qui on ne peut pas ou plus faire ? Des facilitateurs de démarches, des guides pour un peu plus d’humanité ? Une écoute dans ce grand micmac administratif ? Pour être au final, ceux qui prennent en charge la misère du monde ?
Après un grand embarras général pour répondre à ces questions, je pourrais résumer les choses ainsi :
Peut-on parler des « usagers » ? Peut-on considérer les usagers comme un groupe social au sens sociologique du terme ? La singularité de chacun et la multiplicité de situations entravent le fait que nous pourrions rassembler, en un tout, les personnes qui viennent nous solliciter, nous travailleurs sociaux. Auquel cas, il est impossible de répondre à la question de départ…
La pensée fait le grand écart entre l’adulte handicapé et son peu d’autonomie et le marginal demandant juste un regard sympathique, de quoi se substanter et se payer ses clopes.
L’aspect le plus difficile des différentes missions des travailleurs sociaux réside peut-être alors dans cette nécessaire évaluation à faire lorsqu’on rencontre puis accompagne une personne en demande considérant que la demande est bien sûr un prérequis obligatoire.
Pouvoir poser ce regard qui écoute, débarrassé si possible du maximum de préconçus, de préjugés. Ce qui est loin d’être toujours évident.
Ceci pour aller à la pêche des potentiels des personnes accompagnées. Et puis ensuite oser. Oser demander ce que veut la personne sans trop anticiper, sans aller trop vite, sans chercher à être efficace. Oser lâcher quand on sent la personne en capacité de se débrouiller. Oser faire confiance à la personne qui n’a pas le même bagage affectif, psychologique que nous, donc qui ne pense pas et ne vit pas comme nous. Accompagner l’autre pour qu’il trouve lui-même ce qui est bien, bon pour lui…
Tout ceci est bien compliqué à mettre en application. Penser complexe pour agir vrai. Et puis, c’est vrai aussi qu’il faut justifier de son travail, de sa fonction. On est payé pour ça et on se doit d’agir. Donc !...
Celui qui a lu Martin Winckler, ou bien l’a écouté ou bien encore vu des interviews de lui, sait que le médecin qu’il est, a décidé d’accueillir tout d’abord la personne et non pas le malade. Ce qui, bien entendu, l’oblige à regarder cette personne dans son entièreté et non par le biais de son symptôme. Donc, à prendre le temps et non pas enchaîner les patients.
Pourquoi ce détour par la médecine ? Parce que ce qui m’a le plus marqué en approchant ce médecin-écrivain, c’est le regard qu’il pose sur la personne en demande. Écouter la personne qui entre, lui faire confiance, elle seule sait vraiment pourquoi elle est là.
Vous voyez où je veux en venir…Et si bêtement c’était pareil pour nous, travailleurs sociaux ?