N° 950 | Le 19 novembre 2009 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Dans l’imaginaire collectif, il y a de l’enfance quand il y a du manque : défaut de parole, impossibilité de subvenir à ses besoins, absence d’autonomie, inaptitude à prendre des décisions. Et il est vrai que même s’il est riche d’une infinité de potentialités, l’enfant vient au monde totalement démuni. En tant qu’être inachevé, il ne peut se construire sans l’aide de l’adulte. Pétri de pulsions et tout entier tendu vers leur satisfaction immédiate, ce n’est que progressivement qu’il va apprendre à apprivoiser ses angoisses et à se contrôler en se dégageant de sa toute puissance. L’éducation est justement là pour l’accompagner dans ce mouvement destiné à le rendre capable de surseoir et d’anticiper et pour le considérer capable de faire. Elle n’est pas là pour éradiquer ses pulsions qui sont autant de sources d’énergie, mais pour lui apprendre à échapper à leur emprise.
Or, la modernité a rendu caduc le corps de traditions éducatives qui permettaient aux générations successives de préparer leur progéniture à affronter la vie. Les grands récits de référence et mythes fondateurs qui servaient de soubassements aux comportements se sont effondrés. Les individus sont assignés à inventer leur vie, sans disposer des repères qui leur permettaient de connaître à l’avance la pertinence de leurs choix. Mais le temps des incertitudes ne doit pas être le temps des renoncements. Et cet individualisme social ne doit être ni diabolisé, ni totémisé. Il peut favoriser l’émergence d’une authentique démocratie, pour autant qu’il n’est pas articulé à la verticalité tyrannique d’autrefois.
Pour cela, il faut renoncer à privilégier les principes éducatifs de dépistage, de contenance et de normalisation de l’enfant. Tout au contraire, il faut repérer, inventer et émanciper. Repérer, c’est identifier les difficultés autant que les points d’appui potentiels de l’enfant. Inventer, c’est avancer progressivement, en ajustant nos propositions et en explorant sans cesse de nouvelles pistes, de nouvelles médiations et de nouvelles occasions pour lui permettre de se désenkyster. Emanciper enfin, c’est lui donner les moyens de faire œuvre de lui-même. On ne se situe là ni dans le spontanéisme, la non-directivité ou l’attente passive, ni dans le dressage, le conditionnement ou le gavage, mais bien dans une dynamique à double entrée. La prise en compte d’abord de la fragilité de l’enfant qui nécessite sa protection. Mais de façon contiguë, la reconnaissance d’un être pas encore capable de penser complètement par lui-même mais qui résiste néanmoins au pouvoir que l’adulte veut exercer sur lui et qui requière qu’on fasse advenir sa capacité de discernement.
C’est le cœur même de la Convention internationale des droits de l’enfant.
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