N° 984 | Le 9 septembre 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Du titre de l’ouvrage émane un sensationnalisme aux relents populistes. Il ne faut pourtant pas hésiter à dépasser cette première appréhension, pour découvrir ce récit du voyage chaotique d’un prof à travers le continent de l’enseignement. Rien ne prédisposait Charlotte Charpot à ce métier. Elle ne fut pas une élève particulièrement brillante. Aussi, est-ce avec enthousiasme et ferveur qu’elle se rend à son premier poste. « On arrive tout frais, en se disant qu’on travaillera dans une grande maison fraternelle, au sein de laquelle tout le monde cherche à atteindre le même objectif et s’entraide » (p.179). Elle va tomber de haut.
Confrontée à des élèves pas toujours tendres, c’est néanmoins à son administration qu’elle en veut le plus, ce véritable « mammouth » qui gère son personnel selon des modalités où l’absurde le dispute à l’inhumanité. Elle sait de quoi elle parle, elle qui a connu sept établissements en sept ans, avant de jeter l’éponge et de passer à une autre carrière que celle de souffre-douleur.
Ainsi, l’Éducation nationale peut-elle prévenir un enseignant de sa nomination à cinq cents kilomètres de son domicile, quarante-huit heures avant la rentrée. Comme elle peut tout autant lui proposer un emploi du temps sur deux collèges distincts, à 100 kilomètres de distance, les frais de déplacement venant compenser que bien faiblement le coût des déplacements. Les programmes officiels sont concoctés par des maîtres à penser, sans rapport aucun avec la réalité du terrain. Il faut adapter ne serait-ce que le langage au niveau réel des élèves.
Son premier poste, elle l’a exercé en classe « français langue étrangère ». Elle a dû faire face à des enfants dits primo arrivants. Son quotidien est alors fait bien plus de social et d’administratif, que de pédagogie. Ses élèves sont déchaînés. Mais comment leur en vouloir, quand elle s’aperçoit que Yanina se fait régulièrement battre dans sa famille, qu’Ali ne peut d’autant moins réussir à travailler qu’il est quasiment aveugle, que Mohammed n’a jamais rien fait d’autre que de garder des chèvres avant d’arriver en France. Là aussi son employeur ne lui proposera jamais de formation spécialisée qui pourrait s’intituler « prévenir les situations de violence », « enseigner le français langue étrangère », « gérer l’analphabétisme » ou encore « faire face à la déscolarisation ».
L’expérience de l’auteur en Belgique ne sera pas plus probante, ce pays ayant instauré le recrutement des enseignants par les établissements eux-mêmes sur un statut précaire, le licenciement pouvant intervenir à tout instant. Le taux d’arrêt-maladie de la profession n’est pas moindre qu’en France, preuve que la sécurité de l’emploi hexagonale n’est pas incitative, comme on se plaît trop souvent à le dire.
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