N° 1040 | Le 24 novembre 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Malaise dans la relation. Des sentiments dans le travail social

Sous la direction de Guy Schmitt


Le Sociographe n° 36, septembre 2011 (128 p. ; 10 €) | Commander ce livre

Thèmes : Usager, Pratique professionnelle

Il est de coutume de considérer que la valeur économique accordée à une activité professionnelle serait inversement proportionnelle aux sentiments qui lui sont attachés. On ne travaillerait bien que dans une relation désaffectivée à l’autre, débarrassée de toutes les émotions parasites. Or, ce sont ces mêmes sentiments à l’égard d’autrui qui constituent le soubassement de toute relation d’aide. Ce paradoxe est au cœur du malaise des professions sociales. On ne peut comprendre cette problématique qu’en fonctionnant en permanence sur deux registres contigus. Le premier est celui de l’empathie. Cette démarche est fondée sur une profonde intolérance à la souffrance et à l’injustice. Il ne s’agit pas de souffrir avec l’usager, mais de pénétrer son état d’esprit pour mieux cerner ses émotions et son vécu et lui témoigner d’une attitude inconditionnellement bienveillante qui fasse de lui une personne digne d’attention et d’intérêt.

Cette perméabilité présente, toutefois, le risque permanent de voir la souffrance de l’usager entrer en résonance avec le vécu et l’histoire de l’intervenant… et de le confronter à autant de désirs, d’attentes, de projections réciproques, quant à une réparation, un remplacement, une adoption ou à un rapt, avec toute la charge affective que cela induit. S’ils ne sont pas suffisamment compris et maîtrisés, tous ces sentiments et fantasmes qui émergent ainsi peuvent faire de gros dégâts.
Et c’est bien là la seconde facette du paradoxe déjà évoqué : on ne peut être suffisamment disponible à l’autre, si l’on cherche à travers lui à satisfaire surtout ses propres besoins émotionnels. D’où la nécessité d’élaborer une posture professionnelle qui permette de conscientiser ces sentiments, plus ou moins diffus, qui innervent toute relation d’aide. Il ne s’agit donc pas de les enfouir dans un quelconque déni, mais de les mettre au travail.

L’éthique, la raison, le travail réflexif, la mise à distance sont autant d’outils pour y arriver. Le cadre institutionnel, et plus particulièrement la zone tempérée que doit constituer la réunion de l’équipe professionnelle, permet de limiter les risques d’une privatisation de la relation d’aide et de prévenir la réalisation de certains désirs qui perdaient de vue que la priorité de l’autre est bien la finalité première. Dans les métiers socio-éducatifs, on est passé d’une motivation religieuse et vocationnelle de l’« amour du prochain », à une professionnalisation fondée sur l’illusion d’un savoir-faire technique qui permettrait de s’affranchir de toute la dimension affective. Le travail social implique la technicité. Mais la gestion de l’économie des sentiments qu’induisent les expériences émotionnelles inévitablement générées par toute relation, lui est tout aussi indispensable.


Dans le même numéro

Critiques de livres

Sous la direction de Laurence Hardy

Vieillir vieux, vieillir mieux ?