N° 1300 | Le 7 septembre 2021 | Par Monique Eyraud, éducatrice spécialisée à la retraite et auteure (1) | Espace du lecteur (accès libre)
Je m’appelle Réda. Mon plus grand malheur est d’avoir croisé le chemin d’une éducatrice. Personne prévue pour accompagner, mais là c’est pour la frontière, alors c’est juste terrible.
Maman m’a sauvé une première fois, là c’est la deuxième. Je viens d’Algérie, ils ont loupé mon opération, alors comme y’avait du pus, elle a fait nos bagages et hop direction la France pour me sauver.
Elle a eu raison, mon père s’était barré et elle ne voulait pas me perdre.
Sans papier en France, c’est compliqué. Mais elle a réussi à me trouver une école et même si ce n’est pas rose tous les jours, j’ai appris le Français, j’ai des copains et elle s’occupe de moi, malgré son mal de dos. Elle devait se faire opérer prochainement, mais cette éduc est passée à la maison un matin et elle a trouvé que j’étais en danger. L’appart’n’était pas adapté, donc elle veut me placer dans un foyer. Maman ne s’est pas méfiée, elle n’a compris qu’en lisant le courrier.
Elle doit pas avoir d’enfants, ou pas de coeur ou les deux. Ni une ni deux, quand maman a appris ça, elle est vite venue me chercher à l’école pour prendre un avion demain matin. Pourvu qu’ils ne viennent pas ce soir. Maman est dans tous ses états. S’il existe une bonne mère au monde, c’est la mienne. Depuis quatre ans, elle se plie en quatre pour moi. C’est peut-être pour ça qu’elle a fini par avoir mal au dos.
Je quitte l’école en larmes, les copains placés en foyer ont pleuré aussi. C’est sûr que mon histoire les touche ! L’abandon, ils connaissent. Qui va nous attendre à Oran ? Je suis en fauteuil, et en Algérie je ne sais pas si je pourrai trouver une école qui m’accueille. Ma vie est sens dessus dessous, celle de maman aussi et j’ai peur de demain. Je ne sais pas si ce petit garçon a pris l’avion. Je ne saurai peut-être jamais ce qu’il est devenu. Depuis deux jours des images tournent en boucle : soit les flics débarquent chez eux avant l’aube, soit ils arrivent à temps à l’aéroport avec leur deux valises bouclées à la va-vite.
(1) Vient de publier Max et Maude, Éd. La Pensée vagabonde »