N° 1112 | Le 4 juillet 2013 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
La révolution managériale qui s’est imposée à nos sociétés depuis les années 1980, prétendait remplacer, à l’inverse du taylorisme, la soumission passive par l’adhésion volontaire, le contrôle disciplinaire par la mobilisation personnelle et la surveillance hiérarchique par la motivation individuelle.
Après trente ans d’application, le constat est clair : ce changement a été un marché de dupe, aux conséquences terrifiantes. Outre un mal-être généralisé se traduisant par l’intensification du stress, la détérioration des relations avec l’encadrement et les collègues et la multiplication des maladies professionnelles, notre pays a atteint le triste record d’un suicide par jour dû à la souffrance au travail. Vincent de Gaulejac et Antoine Mercier décrivent ici, clairement et précisément, la genèse de l’idéologie du New public management et ses principaux mécanismes.
Première source de malaise, l’ambition de la qualité totale, du zéro défaut et de l’excellence durable induisant une course à la performance, des objectifs toujours plus ambitieux, dans des délais toujours plus courts avec des moyens toujours plus réduits. L’ambition ne pouvant jamais être atteinte, le salarié se sent toujours coupable de n’en faire pas assez et de ne jamais être à la hauteur de ce qui lui est demandé.
Seconde source de souffrance, l’injonction au changement permanent et la culture de l’urgence qui demandent des réponses immédiates, une disponibilité permanente et une réactivité de tous les instants. Ces exigences créent une insécurité constante et privent de toute réflexivité et de toute prise de distance sur la tâche exigée.
Troisième source de trouble, la désubjectivation et la perte de sens débouchant sur une insatisfaction chronique : il n’y a plus d’amour du travail bien fait, de fierté face à un savoir-faire reconnu, de satisfaction de la réalisation d’une œuvre concrète, mais la recherche du dépassement de soi, du défi à relever et de la capacité à régler des problèmes toujours plus complexes.
Quatrième source de mal-être, cette obsession évaluatrice qui se réduit à une quantophrénie [1] visant à comprendre ce qui est mesurable, au lieu de mesurer pour mieux comprendre. C’est la rentabilité et la productivité qui deviennent les critères de validation et non la qualité ou la valeur du travail accompli.
Face à cette organisation du travail aux conséquences destructrices, les auteurs en appellent à privilégier l’esprit critique sur les fausses évidences et les leurres. Ils revendiquent de faire confiance aux salariés plutôt qu’aux prescriptions, à leur intelligence plutôt qu’aux procédures, à leurs capacités d’action plutôt qu’aux règlements. Ils mettent en avant l’amour de l’art et les valeurs profondes qui étayent l’estime de soi.
[1] Pathologie consistant à traduire les phénomènes sociaux ou humains en langage mathématiques
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