Merci Paul Fustier
Éducateurs spécialisés, sur le terrain, formateurs ou étudiants, nous avons tous cheminé avec Paul Fustier et ses idées. Le 3 mars, ce professeur de Psychologie, grand contributeur et défenseur du travail social nous a quittés ; nous ne pouvions manquer de lui rendre un sincère hommage, à la hauteur si nous le pouvons, de la réflexion qu’il nous a laissée.
Paul Fustier a signé plusieurs ouvrages de référence sur les pratiques quotidiennes des éducateurs spécialisés, le travail en équipe et l’institution, toujours d’un point de vue clinique. Revenons sur les principaux apports de ce chercheur-théoricien du travail social. Il a notamment apporté ce concept de « l’effet ricochet ». « J’appelle effet ricochet, l’effet de changement, de traitement ou de soin que peut avoir cette liberté laissée à l’enfant de s’introduire dans une pratique qui ne le vise pas mais qui reste ouverte s’il veut s’y engager. » (in Education Spécialisée. Repères pour des pratiques)
Il développe également l’idée de « lien d’accompagnement », une réflexion sur la place de l’éducateur entre le contrat salarial, socle de tout accompagnement, et l’échange dans le don qui s’établit naturellement.
Paul Fustier c’est aussi l’expression de ces « corridors du quotidien » qui décrit une clinique quotidienne de notre travail en institution à travers l’idée de famille/non famille. Cet inévitable transfert de l’enfant sur l’institution qui devient « mère » et la nécessaire désillusion qui l’accompagne. Les corridors sont « ces espaces-temps ambigus au sein desquels se déploient, sous une apparente banalité, des échanges complexes qui permettent une reconstruction du lien social ».
Une analyse de la relation d’équipe et de la relation à l’institution est proposée par plusieurs de ses ouvrages et apporte recul et réponses aux professionnels. Paul Fustier a aussi défendu la clinique contre la performance, trop souvent demandée par les institutions à leurs équipes et qui fait oublier le sens de leurs actions.
Les réactions à son décès se multiplient depuis quelques jours.
Jean Cartry, éducateur spécialisé, ancien directeur d’établissement et auteur – notamment de L’éduc et le psy, co-écrit avec Paul Fustier – salue « sa stature intellectuelle » et revient sur l’œuvre qu’il nous laisse, dans un texte remarquable que Lien Social publie dans son prochain numéro.
Avenir Educs le remercie chaleureusement pour l’engagement dont il a fait preuve lorsque le collectif l’a sollicité au moment de sa création, et rend hommage au travail de ce « chercheur du quotidien qu’il était. Plus que jamais, nous défendrons ce qu’il a tant porté : la clinique du quotidien et le travail d’équipe en institution. » Des voix comme celles de Joseph Rouzel s’expriment également : « Nous étions unanimes sur le rôle qu’il a joué dans la communauté de la psychiatrie sociale mondiale. » Et nous le restons.
"Pour le chercheur aussi, Paul Fustier occupe une place majeure, écrit Michel Chauvière. Son premier livre, l’Identité de l’éducateur spécialisé, publié dès 1972 aux éditions universitaires, s’il est contemporain des Maisons de correction d’Henri Gaillac, du fameux numéro d’Esprit ou encore du Psychanalysme de Robert Castel, ouvre surtout plusieurs pistes innovantes pour la pensée du travail social. Il part en effet du travail réel, c’est-à-dire des pratiques cliniques au quotidien dans des institutions, tout en restant attentif aux catégories et aux modèles qui caractérisent ce domaine. Sa typologie des éducateurs (pionnier, familial-charismatique, familial-technique, etc.) a été pour moi à cette époque une invitation à l’effort de connaissance.
Je l’avais rencontré en août dernier lors d’une journée d’études. Il était très préoccupé par l’évolution actuelle des conditions faites au travail social et plus que jamais engagé pour le défendre. Il restera un phare pour nous tous, à condition de continuer à naviguer avec lui."
Dans les moments difficiles, il est bon de pouvoir se réfugier dans des écrits qui marquent notre identité commune, qui rappellent nos valeurs et construisent notre pratique. L’œuvre de Paul Fustier demeure l’une de celles qui réconfortent les travailleurs sociaux. Sa disparition nous invite, s’il en était besoin, à nous replonger dans ses lectures et à transmettre ses idées, ses convictions.