N° 992 | Le 4 novembre 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
La honte est un sentiment poison, un abcès de l’âme qui, pourtant, n’a rien d’irrémédiable. C’est ce que nous explique Boris Cyrulnik qui nous propose ici un brillant essai, écrit de main de maître, dans son style inimitable qui fait virevolter les concepts et les illustrations concrètes.
Que nous dit-il ? Que ce ressenti a directement à voir avec nos rapports à autrui. Il prend sa source dans l’empathie, cette capacité à se représenter soi, parmi les autres. Si cette compétence nous fragilise dans nos relations, c’est aussi elle qui est au cœur de l’intersubjectivité, garantissant qu’elle ne soit pas faite que de violence et d’agression. Ne jamais avoir honte, c’est ne pas attacher la moindre importance à l’opinion que les autres peuvent avoir sur nous. Toutes les graduations sont possibles entre ceux qui sont hypersensibles et ceux qui sont insensibles au regard des autres. Cela va de celui qui s’aligne systématiquement sur ce que pense et fait son entourage, jusqu’au pervers qui ne sait même pas que l’on peut se poser la question du monde de l’autre. Le honteux pense tellement à ce que l’autre pense de lui, qu’il ne veut pas prendre le risque de s’exposer à son jugement. Si on partage volontiers son plaisir et que l’on n’hésite pas à exprimer sa colère, on cache, le plus souvent, sa honte. On préfère mentir ou se réfugier dans le déni. Parce que l’on ne veut pas gêner ceux que l’on aime, parce qu’on craint d’être méprisé par eux, parce qu’on veut préserver l’image positive qu’ils ont de nous, parce qu’on veut conserver l’estime qu’ils nous portent.
La source de la honte n’est pas toujours un fait ou un acte objectif. On la ressent non du fait d’un échec, mais d’un sentiment d’échec. C’est la signification et non la caractéristique elle-même qui déclenche cette honte, conséquence de ce jeu de miroir émotionnel où chacun s’accouple avec l’image que l’autre a de lui. Souffrir de cette déchirure relationnelle passe nécessairement par le tissage préalable d’un lien. On ne ressent pas de honte à l’égard de quelqu’un qui nous est totalement et réciproquement indifférent, que nous méprisons ou que nous ignorons. C’est justement ce regard des personnes signifiantes qui nous entourent qui possède le pouvoir de nous renvoyer une image valorisée ou dévalorisée de nous-mêmes. Si l’on souffre, c’est avant tout de l’idée que l’on se fait de soi, sous le regard de l’autre. Le facteur de résilience le plus efficace est donc constitué par le tissage d’un lien affectif stable. La honte peut durer deux heures ou vingt ans. Son destin dépendra toujours du soutien affectif d’un entourage qui peut soulager ou aggraver le trauma vécu et ressenti.
Dans le même numéro
Critiques de livres