N° 699 | Le 4 mars 2004 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
On a assisté, au cours des quinze dernières années, à un double mouvement dans les banlieues : désinvestissement des pouvoirs publics qui ont de plus en plus déserté la lutte contre les discriminations et radicalisation des garçons qui, ressassant leur rancœur et leurs échecs, ont retourné leur rage contre les filles. Ce qui était au début une simple pression est devenue une véritable oppression : les garçons se sont sentis autorisés à édicter des règles de conduite aux filles et à corriger celles qui ne s’y pliaient pas. Ils sont devenus les garants de l’honneur de la famille et de la cité, surveillant leur façon de s’habiller ou leurs fréquentations.
Conséquences, les relations amoureuses sont devenues de véritables transgressions susceptibles d’entraîner la sanction du tribunal social. On ne voit plus de couples enlacés au bas des tours. Tout flirt doit rester discret, les filles prenant l’habitude d’avoir des petits amis loin de leur cité. Un nouvel ordre moral s’est mis à sévir, prenant les filles en otage, le seul modèle admis étant celui de la virginité avant le mariage et de la soumission au désir de l’homme. Le port du voile est devenu l’outil privilégié de cette oppression, symbole de l’aliénation de la femme à l’homme. Si certaines l’adoptent par choix, la plupart l’utilisent pour se protéger de l’agressivité masculine (cherchant ainsi, à être intouchables). D’autres apparaissent comme les « soldates du fascisme vert », farouches adversaires de la démocratie.
Mais, cette dérive a aussi eu des conséquences sur les garçons : dans la tribu masculine, les sentiments sont perçus comme un signe de faiblesse, seules primant les valeurs de virilité, d’agressivité et de machisme. Il n’est pas rare de voir un jeune homme doux et amoureux dans l’intimité, se mettre à insulter et être violent avec sa copine, dès qu’il est en public. Celui qui se comporte autrement est traité de bouffon et subit à son tour des violences. En réaction, les filles ont réagi de différentes façons. Il y a d’abord celles qui se soumettent à ce retour en force de la tradition patriarcale, acceptant ainsi une régression totale du processus d’émancipation des femmes. Il y a ensuite celles qui s’identifient aux comportements violents des garçons : s’imposer pour forcer le respect, parler et agir d’une manière agressive.
Enfin, il y a ces filles transparentes, devenues autant de fantômes dans la cité qu’elles fuient, essayant de chercher à l’extérieur la planche de salut pour vivre leur vie. Mais une forme de résistance a aussi émergé : celles qui, par exemple, au risque de se faire traiter de « putes », n’hésitent pas à assumer leur féminité et à afficher leur maquillage comme autant de peintures de guerre ! Fadela Amara décrit longuement comment cette résistance a pris une forme organisée avec les états généraux des femmes de quartier tenus en 2002, la marche qui s’est déroulée le 8 mars 2003 et les réunions d’explication du mouvement « ni putes, ni soumises » proposées à travers toute la France. Mais, reconnaît l’auteure, même si ces actions civiques sont importantes, rien ne remplacera la politique d’intégration que les pouvoirs publics doivent impulser dans les banlieues, seule manière de contrer l’injustice sociale qui y règne et d’offrir une autre perspective que l’islam rétrograde.
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