N° 839 | Le 3 mai 2007 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
On tue les vieux
Christophe Fernandez, Thierry Pons, Dominique Prédali, Jacques Soubeyrand
Les plus de 60 ans dépasseront les 17 millions en 2020 et les 21,5 millions en 2040. Vivre plus vieux implique-t-il vieillir mieux ? Oui, est-on spontanément amené à répondre. La certitude de cette affirmation n’est pas aussi évidente qu’il n’y paraît. Car trop souvent, les conditions de fin de vie sont désastreuses pour nos seniors qui meurent dans la souffrance, la solitude et l’indifférence. La maltraitance dont ils sont victimes se trouve au même stade de tabou que se situait la maltraitance contre les enfants il y a 30 ou 40 ans : 800 000 d’entre eux seraient concernés.
Principale cause ? Une population de plus en plus soumise au principe de rentabilité, instrumentalisée à la fois comme cause de déficit à l’hôpital et source de profits dans les maisons de retraite livrées au privé. Pendant longtemps, les hôpitaux ne dépassaient pas 70-75 % de remplissage afin d’encaisser les à-coups conjoncturels. Les politiques de restructuration des soins de santé ayant imposé un taux de 95 %, le fonctionnement à flux tendu provoque des conséquences désastreuses. Ainsi, de la saturation des urgences qui contraint nombre de personnes âgées à rester bloquées sur un brancard dans un couloir durant 8 à 12 heures. Alors même qu’elle demande beaucoup de bras, la gériatrie bénéficie d’un des ratios personnel/malade parmi les plus bas.
Comment réussir à prendre en charge les patients âgés sans accroître les déficits, à une époque où le mot d’ordre est de diminuer les coûts ? Le manque de crédit contraint parfois les médecins à renoncer à certains traitements et examens. Et le premier facteur discriminant retenu est le plus souvent l’âge. La situation n’est pas meilleure dans les maisons de retraite, dont un tiers des lits sont indignes d’accueillir des personnes dépendantes. Si les résultats financiers du secteur privé sont florissants (le Medipep, l’un des principaux groupes a vu ses bénéfices se multiplier par dix en quelques années), la qualité des prestations proposées laisse largement à désirer. Les négligences constatées sont inhérentes au fonctionnement naturel d’établissements qui choisissent la rentabilité : salaires minimums, personnel en sous-effectif, manque de formation adéquate pour affronter la démence et savoir comment interpréter et gérer les comportements difficiles des résidents. Il faut entre 30 et 60 minutes pour nourrir convenablement une personne dépendante. Cela coûte trop cher : le gavage reste le seul moyen rentable (tout mixer de l’entrée au dessert en une bouillie infâme).
Par économie, « on demande aux femmes de ménage de faire le travail des aides-soignants, aux aides-soignants de faire celui des infirmières et aux infirmières de prendre la place du médecin » (p.140). Mais si les maisons de retraite sont sous-médicalisées, les pensionnaires sont quant à eux sur-médicalisés : rien ne vaut un petit cocktail de neuroleptiques pour assommer des pensionnaires qui se montrent par trop agressifs ou déambulateurs et donc trop chronophages. Déshydratation, dénutrition et escarres sont récurrentes. Les mauvais traitements contre les animaux sont aujourd’hui combattus avec plus d’efficacité.
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