N° 1246 | Le 5 mars 2019 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Mais en quoi consiste donc le métier d’assistante sociale ? Le lecteur qui voudrait trouver une réponse possible, sans tomber dans l’étude de cas rébarbative ou dans une présentation technique, froide et impersonnelle doit lire ce livre de Stella Kowaczuk. Tout au long de ce récit, on rit beaucoup, on s’émeut parfois, on s’indigne souvent. L’art et la manière de faire passer une réalité au plus près du vécu quotidien, sans ne jamais faire naître l’ennui sont déployés ici avec une grande maestria. L’auteure l’annonce d’emblée : son intention est double. Tout d’abord rendre hommage à tous ces professionnels courageux, sincères et consciencieux qui tentent, au jour le jour, de faire au mieux avec des moyens de plus en plus restreints. Mais aussi démontrer qu’au-delà des préjugés qui les stigmatisent les plus pauvres recèlent une richesse humaine infinie et un potentiel qui méritent d’être réactivés et valorisés. Les deux ambitions ainsi posées sont atteintes.
Tout au long des pages, c’est d’abord Gwendoline Guérande, ci-devant assistante sociale, qui prend la parole pour décrire son quotidien, ses techniques professionnelles, le déroulement de sa journée de travail. Sa persévérance et son infatigable optimisme, sa profonde empathie et son infini respect pour les personnes qu’elle accompagne viennent en permanence télescoper sa vie privée particulièrement bousculée (sa mère est hospitalisée en section Alzheimer, son mari la quitte en début du livre, sa vie affective est instable). Les propos de Gwendoline alternent avec ceux de ces « cas sociaux » qu’elle croise au quotidien. En se fondant dans leur corps et dans leur esprit, l’auteure a réussi à leur donner une parole d’où se dégage toute leur humanité. On fait la connaissance d’Hugo, que le désespoir a fait se noyer dans l’alcool, et de Marcel, ce paysan endetté qui a tout donné à son métier au point d’être en train de tout perdre, ou encore de Liam, que la maltraitance subie conduit au bord du suicide, mais aussi de Violette la manouche… et de tant d’autres. Les permanences s’égrènent, faisant surgir des personnalités surprenantes ou inattendues. Les suivis se succèdent, produisant des situations tantôt cocasses, parfois dramatiques. Les rencontres se multiplient donnant l’occasion de découvrir tant de lumières qui ne demandent qu’à être rallumées. Gwendoline s’engage, s’investit et s’expose, refusant les compromissions et prenant des risques, au nom de son éthique et de ses convictions. Voilà un beau portrait bourré d’humour dans lequel nous serons un certain nombre à nous reconnaître.
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