N° 626 | Le 20 juin 2002 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Les réseaux d’échanges réciproques de savoirs (RERS) dépassent l’horizon de leur seule créatrice. C’est plus de 80 contributions qui viennent, dans cet ouvrage, en dresser un tableau haut en concepts et en illustrations. Ce mouvement embrasse une foule d’acteurs qui ont construit des lieux où chacun peut être accueilli, reconnu, respecté et étayé par la réciprocité des savoirs. Face à une société qui a beaucoup de mal à penser égalité et différence, il offre une socialisation alternative à celle proposée par l’école ou l’entreprise. À la compétition et à la course au meilleur il oppose l’individualisation constructive et l’apprentissage des compétences sociales collectives. Entre le « tout pour soi » et l’intégrisme, ce peut être là, la préfiguration de ce que pourrait devenir notre monde, si seulement l’action engagée sortait du laboratoire que constituent encore les RERS. « On ne résoudra aucun des problèmes de notre société sans les savoirs, savoir-faire, compétences, aspirations, expériences et compréhensions de tous ceux qui sont concernés » (p.15).
Cette démarche est déjà à l’œuvre dans nombre d’endroits. Enfants de l’éducation populaire et des pédagogies Freinet et institutionnelle, les RERS concernent d’abord l’école : au maître explicateur qui affirme « sans mon explication, tu n’y arriveras pas » s’oppose le maître émancipateur « tu es capable de comprendre, tu vas apprendre à apprendre et à comprendre en cherchant les explications y compris auprès des autres ». Et les petits de maternelle de se proposer pour s’apprendre mutuellement à se beurrer leur tartine ou à se lacer leurs chaussures. Et les grands de collège apposant une gommette de couleur différente sur le tableau énonçant des connaissances qui leur semblent acquises ou non-acquises, se donnant ainsi les moyens alors de solliciter ceux de leurs camarades qui pourraient les aider à progresser.
Mais cela peut aussi être un outil pour les travailleurs sociaux. Même si les intervenants cherchent à faire fructifier le potentiel de l’usager, ils ne prennent pas toujours les moyens de bien les identifier. Repérer les savoirs de l’autre, c’est aussi un apprentissage. Cela passe d’ailleurs aussi par la reconnaissance de ses propres compétences et de ses propres manques. Se confronter aux savoirs d’usagers, perçus alors comme des partenaires, permet de percevoir les complémentarités qu’ils proposent. C’est finalement adopter une position d’accompagnateur-transmetteur visant à l’autonomie de son interlocuteur. Cela se manifeste par exemple dans la démarche qui, se refusant de répondre directement aux demandes, propose des rencontres avec d’autres usagers ayant les compétences pour apprendre à apporter ses propres réponses. Les RERS constituent un formidable support permettant de se (re)construire une image positive de soi et une relation de confiance à l’autre.
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