N° 1052 | Le 1er mars 2012 | Marianne Langlet | Critiques de livres (accès libre)

Pas de quartier ? Délinquance juvénile et justice des mineurs

Pierre Joxe


éd. Fayard, 2012 (318 p. ; 19 €) | Commander ce livre

Thème : Justice

Pierre Joxe exerce aujourd’hui comme avocat commis d’office après avoir assisté pendant un an aux audiences d’une douzaine de tribunaux pour enfants. Ce qui l’a mené vers cette reconversion tardive ? C’est la passivité du Conseil constitutionnel, où il a siégé de 2001 à 2010, face à une série de lois visant à « démolir » ce système.

Le livre s’ouvre sur l’histoire de la jeune Bianca, quatorze ans, roumaine, mineure isolée et enceinte, que Pierre Joxe, son avocat, ne pourra pas empêcher d’aller dormir en prison dans le quartier des femmes à Fleury, le soir même de son arrestation pour tentative de vol. Dans la première partie de son livre, il raconte une dizaine d’affaires auxquelles il a assisté et dresse un portrait au vitriol de ce qu’est devenue la justice des mineurs. Il semble découvrir « la coïncidence de plus en plus frappante entre relégation urbaine, misère sociale et délinquance juvénile ». Il déplore la suppression du défenseur des enfants, la quasi-disparition des prises en charge au civil par la PJJ et des mesures jeunes-majeurs, et constate que les textes actuels ne permettent plus de s’adapter à l’évolution individuelle d’un jeune.

L’auteur rappelle les fondements de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante, instaurant une justice qui protège. Des juridictions et magistrats spécialisés doivent accorder du temps à l’examen de la personnalité et de l’environnement du mineur, individualiser la décision en privilégiant l’éducatif et ne prononcer des sanctions pénales « que quand les circonstances et la responsabilité du mineur paraîtront l’exiger ».

Il retrace ensuite les lois successives qui depuis 2002 pilonnent ce modèle « protectionniste » : la loi dite « Perben I » de 2002 qui crée des sanctions éducatives et rouvre des centres éducatifs fermés, supprimés depuis 1979. La loi dite « Perben II » qui en 2004 allonge la garde à vue des mineurs jusqu’à quatre jours, et enfin les lois de mars et août 2007 qui inventent la « présentation immédiate » pour les mineurs et les « peines planchers ». « La politique suivie depuis plusieurs années conduit à réduire les moyens de la PJJ et à augmenter de 20 % le nombre de places dans les prisons. »

Cette dérive sécuritaire correspond-elle à une explosion de la délinquance juvénile ? L’auteur se réfère aux écrits du sociologue Laurent Muchielli pour constater, au vu des statistiques, que « les jeunes volent moins, commettent peu de crimes, leur part ne croît pas dans la criminalité générale, elle décroît » et « plus de 80 % des jeunes passant devant la justice des mineurs ne réitèrent jamais ». Pour finir, il craint une évolution vers un système à l’américaine où « dans la majorité des États, un mineur peut être condamné à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle », où « les mineurs sont de plus en plus souvent détenus avec les majeurs » et où, « dans certains États comme le Kansas, l’âge minimal pour être jugé comme un adulte pour un crime grave s’établit à dix ans », et où la Cour suprême vient tout juste d’interdire la peine de mort pour un mineur de seize ans. Bref, un système qui fait rêver.


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