N° 819 | Le 30 novembre 2006 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Au départ, il y a une étude de l’Inserm publiée en septembre 2005 qui se veut une expertise scientifique (« Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent »). À l’arrivée, il y a une levée massive de boucliers et une pétition qui a récolté, à ce jour, plus de 190 800 signatures. Pourquoi une telle mobilisation ? Le premier reproche fait à cette recherche est d’ordre méthodologique. La démarche s’avère être une approche univoque qui privilégie un bio déterminisme d’inspiration anglo-saxonne. Si cette école est en soi légitime, ce qui l’est moins, c’est qu’elle soit la référence quasiment unique des chercheurs qui ont exclu toutes les autres références, pourtant nombreuses, issues notamment des sciences humaines. Mais la difficulté vient aussi du fond. Qu’y préconise-t-on ? Qu’un dépistage puisse avoir lieu le plus tôt possible, afin de déceler les troubles du caractère et du comportement et de les soigner pour que ceux-ci ne débouchent pas ultérieurement sur une carrière délinquante. Le carnet de santé serait complété par un carnet de comportement qui permettrait d’identifier le mal et de suivre sa progression ou sa régression.
De telles propositions tombent sous le coup d’une multitude de critiques. Nous en retiendrons trois. Tout d’abord, la dérive qui consiste à considérer chez l’enfant les manifestations d’opposition, de désobéissance et de distance par rapport aux normes sociales comme pathologiques. Tout praticien ayant un tant soit peu d’expérience sait qu’il faut parfois se méfier autant sinon plus du calme apparent, de l’inhibition ou de l’apathie et qu’il faut savoir travailler à partir d’appels silencieux et de signes ténus autant que de symptômes têtus. Autre critique : une chose est de constater a posteriori une corrélation entre un comportement dans l’enfance et des transgressions sociales à l’adolescence, autre chose est de considérer ces corrélations comme des causalités. Si beaucoup de jeunes délinquants ont montré plus jeunes des troubles du comportement, tous les enfants qui vivent ces troubles ne deviennent pas pour autant des délinquants !
Troisième critique : la menace que représentent les mesures prédictives. Plus l’enfant est jeune, plus son vécu et sa personnalité se tissent au vécu et à la personnalité de celles et de ceux qui l’entourent. Encombrés par de telles funestes prédictions, les adultes qui le côtoient risquent de projeter sur lui cet avenir sombre, surdéterminé et immuable. Et l’on sait à quel point l’enfant étiqueté se conforme trop souvent à l’image qu’on a de lui. Or « se mêler de prévention, c’est se prêter à l’illusion désirante qu’on peut changer l’avenir » (p.70). Pour cela, il faut accepter qu’un être humain ne soit un organisme ni programmé, ni programmable. Même si un consensus tacite entre les medias et le grand public tend à évacuer la complexité, on ne peut simplifier le savoir pour le rendre applicable et utilisable et le réduire aux seules données que recueillent les questionnaires et grilles d’évaluation.
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