N° 799 | Le 1er juin 2006 | Philippe Gaberan | Critiques de livres (accès libre)
« Maintenant, il est nécessaire et urgent de faire l’union des peuples et d’organiser la rébellion contre la menace qui nous atteint, celle de la négation de nous-mêmes en tant qu’êtres humains soumis à la “férocité” de l’éthique du marché » (p.137). Paulo Freire, pédagogue brésilien mort en 1997, n’est pas seulement l’une des figures les plus admirables de la pédagogie contemporaine, il fut aussi l’un de ceux qui, dans la mouvance de philosophes comme Cornélius Castoriadis, comprirent très tôt que la plus grande menace pour l’homme était la montée de l’analphabétisme, de l’ignorance et de l’insignifiance. Il n’y a de liberté possible que pour des peuples instruits et, dès lors, libres de déterminer leurs choix en toute conscience !
C’est cette vérité que Paulo Freire n’a eu de cesse de défendre tout au long de sa vie et qui se retrouve déclinée tout au long de cet excellent texte qu’est La pédagogie de l’autonomie. Difficile d’extraire une phrase de ce livre sans vouloir aussitôt citer la suivante, et celle d’après et encore celle qui suit. Tout au long des chapitres, le texte parle de curiosité, d’humilité, de générosité, de disponibilité, de plaisir, etc.
Ainsi s’en va la lecture au gré des mots qui font de l’éducation non pas une contrainte mais une fête. Il n’est pas besoin de souffrir pour apprendre, même si apprendre est loin d’être une activité facile. Mais plutôt que d’en faire un combat opposant le maître à l’élève, Paulo Freire trace des pistes qui mènent vers une alliance possible de l’enseignant et de l’apprenant. Celle-ci ne se fait pas sur le dos des savoirs puisque Paulo Freire rappelle qu’il n’a « jamais compris la pratique éducative comme une expérience à laquelle manquerait la rigueur organisatrice de la nécessaire discipline intellectuelle. »
En revanche, cette alliance sert une pratique éducative conçue « comme un exercice constant en faveur de la production et du développement de l’autonomie des éducateurs et des apprenants » (p.153). Par les temps qui courent, ne pas lire Paulo Freire équivaut à un acte de désertion face à cette nouvelle forme de totalitarisme qu’est la négation de la nature humaine.
Aussi faut-il remercier Jean-Claude Régnier, le traducteur, pour l’effort tenace et patient qu’il a fourni pour mettre à notre portée la langue de Paulo Freire, ce formidable éveilleur de la curiosité d’apprendre. Lors d’une toute récente rencontre, Jean-Claude Régnier nous confiait les difficultés et les obstacles rencontrés pour aller jusqu’au bout de cette traduction et de cette publication. Qu’il en soit donc sincèrement remercié !
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